Le 18 octobre 2021 le Président de la République a présenté  le protocole visant à organiser les « états généraux de la justice » dans un lieu « non judiciaire » et « non fermé » (sic). Outre une terminologie directement reliée à la fin du régime monarchique et une durée qui fait immanquablement penser aux « 120 journées de Sodome »,  manuscrit longtemps perdu du marquis de Sade (fin connaisseur par nécessité du système judiciaire de son temps), d’autres points méritent d’être relevés pour essayer de comprendre de quoi il est désormais question .

Communication du syndicat CFDT-Magistrats

Le 18 octobre 2021 le Président de la République a présenté  le protocole visant à organiser les « états généraux de la justice » dans un lieu « non judiciaire » et « non fermé » (sic).

Outre une terminologie directement reliée à la fin du régime monarchique et une durée qui fait immanquablement penser aux « 120 journées de Sodome »,  manuscrit longtemps perdu du marquis de Sade (fin connaisseur par nécessité du système judiciaire de son temps), d’autres points méritent d’être relevés pour essayer de comprendre de quoi il est désormais question.

Sauvé par le gong !

C’est devant un parterre choisi de professionnels de la justice (chaudement invités à participer pour certains d’entre eux) d’étudiants en droit et de « membres de la société civile » (dont par exemple Elisabeth Guigou, garde des Sceaux et figure de modernité au tournant du siècle), que le Président a longuement pris la parole pour exposer sa vision au palais des congrès de Poitiers.

Le président de la République a exprimé sa volonté d’instituer ces états généraux en confiant la présidence des travaux à Jean-Marc Sauvé dont l’exposition médiatique récente a culminé avec la présentation des travaux relatifs à la pédocriminalité au sein de  l’église catholique.

Autour de lui seront présent les chefs de la Cour de cassation, les présidents de la commission des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat (ce qui n’est pas sans poser un problème de séparation des pouvoirs), des conseillers d’État (dont Christian Vigouroux spécialiste des questions de déontologie des agents publics), des enseignants, un ancien membre de la Cour européenne des droits de l’Homme et un membre du Conseil supérieur de la magistrature (ce qui n’est pas sans poser d’autres problèmes de séparation des pouvoirs).

En tout cette « institution » est composée de 12 membres. La lettre de mission qui leur a été confiée n’a pour l’instant pas encore été publiée (ni par la Présidence de la République, ni par le Garde des sceaux, chargé lui aussi de coordonner les travaux). Celle-ci sera communiquée par le ministre au président du comité (si l’on en croit l’intervention du Président de la République)

La vidéo de l’Elysée ou le sens des priorités

Le site internet de la Présidence de la République a en revanche mis en ligne l’intégralité des 1 h 47 des débats. Ceux-ci ont commencé par une vidéo relatant une série d’interrogations de « justiciables », qui donnent leur avis sur la lenteur de la justice, son laxisme et son caractère inégalitaire et peu protecteur. Ensuite six personnes ont été appelées à témoigner de leur « parcours judiciaire »  avant que le Professeur Cécile Vigour ne vienne « recadrer » un certain nombre d’éléments concernant l’interprétation qui pouvait s’évincer à partir de ces témoignages. Puis à partir de la 52° minute le Président de la République a pris la parole, pendant le temps restant de la vidéo.

Il a commencé en disant qu’il lui appartenait d’agir « jusqu’au dernier quart d’heure » et a rappelé que l’organisation des états généraux devaient poursuivre  deux priorités : « restaurer le  pacte civique entre la Nation et la justice » et ensuite de « garantir l’efficacité du service public de la justice ». Aucun champ, aucune audace ne devrait rester à l’écart des débats. Il vaux mieux « penser des solutions radicales » et « bousculer des positions établies ».

L’UNSA boycotte le « Salon des oiseaux »…

En marge de cette installation l’UNSA  qui revendique sa position de première organisation syndicale du ministère a déjà fait savoir qu’elle ne participerait pas à cette présentation, ni la première réunion du 20 octobre 2021 qui devait se tenir au « Salon des oiseaux » place Vendôme. Elle fonde son refus sur la trop faible place à elle accordée et plus largement accordée aux représentants des organisations professionnelles d’agents du ministère de la justice dans une telle organisation.

Les représentants autres organisations syndicales présentes lors de cette journée n’ont elles pas mâché leurs mots (une représentante du Syndicat de la magistrature a qualifié l’opération de « pur affichage »).

120 jours pour tout « mettre sur la table »

En marge de l’intervention du Président de la République la presse a diffusé un calendrier de réunion des « Etats généraux » concentré en quatre mois (les fameuses « 120 journées »).

  • Six semaines (jusqu’à la fin du mois de novembre) seront consacrés aux « consultations »
  • Dix semaines « d’expertise » (de novembre à mi-janvier) avec des « professionnels » et des « citoyens »
  • Quatre semaines de « propositions » (de mi-janvier à mi-février) par une « commission indépendante ».

La question de la responsabilité réservée aux magistrats

Le président a clairement entendu ouvrir la question de la responsabilité des magistrats afin de « permettre des progrès réels  et substantiel en matière de responsabilité »  Car « une plus grande indépendance plus grande doit s’accompagner d’une plus grande responsabilité dans le cadre des procédures disciplinaires ». Certaines pistes préconisées par le CSM devant être « dès à présent retenues », et il faudra « aller de l’avant ».( 1 h 10 minutes de la vidéo). Si les membres des « états généraux » avaient des doutes sur la direction à suivre, les voilà orientés. Il a également rappelé que toute juridiction devait rendre compte de son action devant la Nation (oubliant de signaler « en même temps » qu’une telle remontée d’information existe déjà et que le ministre en rend compte devant le Parlement).

Éléments de langage ou écarts de langage ?

Après avoir rappelé que les « états généraux » s’inscrivaient à la suite des mises en cause de l’action de la justice à lui signalée par les chefs de la Cour de cassation le Président de la République a de manière voilée stigmatisé l’action de la Cour de justice de la République en ce qu’elle a procédé à la mise en cause d’un membre du gouvernement alors que « la crise sanitaire est toujours en cours » ce qui ne « participerait pas à l’apaisement ». (Approximativement à 1h 17)

Notre analyse : La position ainsi développée revient à dire que l’indépendance c’est bien mais appliquer la loi conformément à ce que prévoit la Constitution, cela peut contribuer à éloigner la justice des Français.

Effectivité lisibilité et ouverture pour qui, comment ?

Se référant notamment à Simone Weill (la philosophe), le Président de la République a rappelé l’obligation d’assurer ces trois objectifs afin par exemple de « mettre en place des plateformes numériques », améliorer l’accès à la justice des plus modestes « toute complexité et formalisme » éloigne « les plus modestes » de « la  justice ».

Il a proposé de « remettre les juges au coeur de leur métier » en détournant du système judiciaire les « affaires les moins complexes » qui pourraient être dévolues à « d’autres professions du droit » ce qui constitue une rhétorique tout à fait traditionnelle dans le domaine de la réforme de la justice. Il a également, de manière non moins classique proposé de créer une « équipe » autour des magistrats.

Au nombre des autres sujets invoqués on notera la place des réseaux sociaux et le respecte de la présomption d’innocence, l’unité du corps judiciaire, la place du juge d’instruction l’organisation du travail entre les magistrats et les fonctionnaires et bien entendu la valorisation des « legal tech » qui doivent être associées à la visibilité et la lisibilité du service public de la justice.

Dans la série des « figures imposées » (pour ne pas dire poncifs) on citera également la nécessaire ouverture du corps judiciaire et la parité (ce qui nécessitera de valoriser les candidatures masculines au concours de la magistrature), ainsi que la nécessité d’organiser des « passerelles » avec « d’autres professions » (le sous-texte étant que la magistrature n’est ni représentative ni ouverte).

États généraux en fin de règne ?

Avant que les organisations syndicales ne soient prochainement réunies au sein du ministère et que la lettre de mission ne soit publiée, nous ne pouvons qu’être navrés par la présentation du fonctionnement de la justice faite par le Président de la République.

Le calendrier est contraint, l’action du comité à la fois présentée comme souveraine mais orientée « en même temps ». Les magistrats apparaissent comme le problème et non comme un élément de la solution et les organisations syndicales sont marginalisées en tant qu’experts des problématiques professionnelles qui sont pourtant au centre de la dialectique déployée à Poitiers.

Ce qu’organise l’action politique en général ce sont les rapports sociaux. Mais ce qu’organise l’État-employeur pour assurer l’exécution de la politique déterminée par le Gouvernement c’est avant tout le travail de ses agents. Et sur ce terrain la présentation n’est pas sérieuse.

Le Président de la République ne peut, en raison du calendrier s’engager sur rien. Le Parlement ne pourra plus siéger dans quatre mois et l’action réglementaire sera d’ici là assez réduite si l’on entend respecter le calendrier initial. Il ne restera donc que six à huit semaines au mieux pour prendre des décrets à la suite des états généraux. Mais pour autant le procédé est lourd de menaces pour l’action de la justice en général et du corps judiciaire en particulier.

Requiem for a Dream 

Contrairement au « grand débat » qui est le modèle avoué de ces travaux, les « états généraux » présentent une très forte composante technique, alors que les attentes crées peuvent donner lieu à des tensions dont certaines risquent d’être exploitées de manière démagogique.

Qu’on le veuille ou non la fonction juridictionnelle est nécessairement au coeur de tout système judiciaire. Ce n’est pas une question de nombre ou de privilège mais de mission. La mission de la justice est de permettre aux tribunaux de rendre des jugements. Le serment des magistrats et le statut qui leur est applicable n’est pas un privilège mais une garantie pour les justiciables. C’est une des formes juridiques destinées à assurer l’égalité des citoyens devant la loi.

Parler de la fonction juridictionnelle, l’analyser et la mettre en œuvre au mieux des intérêts des justiciables suppose une réelle connaissance de ce que représente le métier de magistrat. Dans la présentation qui a été faite, cette réalité en est en fait au mieux l’accessoire, au pire une des causes non identifiées de la lenteur et de l’absence de lisibilité de l’action de la justice. Notre organisation n’a pas revendiqué l’organisation de ces états généraux ne peut qu’affirmer une position de vigilance et d’analyse du processus qui est en cours, en ce qu’il repose dans le discours présidentiel sur une collection de « clichés » sur l’action des juridictions.

Le Président de la République n’a pas voulu d’un débat centré sur les magistrats. Mais il ne pourra faire sérieusement l’impasse sur les contraintes inhérentes à l’exercice de cette profession et au statut spécifique que la Constitution lui reconnaît.