CE, 30 avril 2024, 464500 : Validation des audiences enregistrées, qui perd gagne ?
Notre organisation avait déposé un recours contre le décret du 31 mars 2022 autorisant l’enregistrement des débats dans les tribunaux (décret n°2022-462). Les instances qui représentaient la profession d’avocat ont principalement argumenté leurs recours autour des questions de présomption d’innocence et de confidentialité des échanges avec le client. Notre organisation a soutenu des moyens issus de la pratique des fonctions juridictionnelles.
Ainsi nous avons stigmatisé le fait que l’enregistrement des débats en matière pénale était soumise à l’autorisation préalable du ministère public, mais pas du magistrat présidant l’audience et chargé d’en assurer la police. Le Conseil d’Etat a répondu qu’aucun texte ne l’imposait (ce qui était pour nous, précisément le problème). Mais en revanche le Conseil d’Etat a rappelé à deux reprises que : « Au demeurant, les dispositions du I de l’article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 prévoient que le magistrat chargé de la police de l’audience peut, à tout moment, suspendre ou arrêter l’enregistrement d’une audience, sans que cette décision soit susceptible de recours » ( § 20 et 23). Ce qui est d’autant plus important que le décret prévoit que les dispositifs d’enregistrement doivent être négociés avec les chefs de juridiction et non pas avec le président d’audience.
Conclusion : même si nous avons perdu dans le cadre du dispositif qui valide le décret nous avons gagné au titre des motifs le rappel par la juridiction administrative d’un moyen légal qui permet à chaque président d’audience de refuser l’enregistrement des débats ou d’y mettre un terme ceci sans voies de recours possible .
C’est ce qui s’appelle protéger activement l’exercice des fonctions juridictionnelles.
Reste à espérer que les collègues qui ne souhaitent pas être filmés s’en saisiront , y compris dans le cas d’audiences collégiales et sauront se faire entendre.
Après avoir vendu le fruit de notre travail aux entreprises de « legal-tech » pour leur permettre d’éduquer leurs algorithmes et notre image aux sociétés de production, pour leur donner matière à engranger elles aussi de l’information sans supporter beaucoup de frais, la seule limite à la marchandisation du corps judiciaire et de ses membres reste l’action qui peut être conduite devant les juridictions administratives et supranationales.
Triste perspective pour la société mais défi que notre organisation ne pouvait pas ne pas relever pour participer à la protection de l’intérêt collectif.
In memoriam
Nous saluons la mémoire de notre ancien collègue Renaud Van Ruymbeke décédé en mai et de notre collègue Claire Brocas-Girod, affectée à Tours décédée à l’âge de 46 ans.