Droit au silence pour les magistrats judiciaires : une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel

Les magistrats judiciaires peuvent remercier les notaires, car cette fois-ci se sera peut-être la bonne !

Dans un arrêt inédit du 19 avril 2024 (CE, 491226) le Conseil d’Etat a décidé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité sur le droit au silence d’un magistrat judiciaire en matière disciplinaire à l’appréciation du Conseil constitutionnel. Pourquoi les magistrats peuvent-ils remercier les notaires ?

Tout simplement parce que c’est à l’occasion d’une procédure instruite la Chambre nationale des notaires statuant en matière disciplinaire jugée le 8 décembre 2023 (n°2023-1074 QPC) que l’interprétation du droit à ne pas s’auto-incriminer, et donc, celle du droit au silence a été posée et considérée comme pertinente par le Conseil constitutionnel. Le Conseil d’Etat a considéré que cette interprétation nouvelle était susceptible d’êre appliquée procédures disciplinaires introduites devant Conseil supérieur de la magistrature. Le Conseil d’Etat a donc élevé devant le Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution des articles 52 et 56 de l’ordonnance n° 58-1270 portant statut de la magistrature.

La question de la conformité des dispositions de l’article 52 est à ce titre particulièrement importante car l’interprétation qui en est actuellement donnée est extrêmement restrictive pour l’exercice des droits de la défense, indépendamment de la question du droit au silence (cf le texte de l’article ci-dessous).

Ce texte permet en effet au magistrat de prendre connaissance de la procédure avant chaque « audition ». Et il est interprété comme étant applicable aux auditions du magistrat et non des auditions organisées par le rapporteur concernant les éventuels témoins entendus dans la procédure alors que le texte ne procède à aucune distinction . Même si la question ne lui est pas directement posée, une éventuelle déclaration de non-conformité à la Constitution de ce texte pourrait entraîner aussi une appréciation sur cette interprétation.

Les magistrats judiciaires n’ont jamais été aussi près d’une évolution majeure du cadre juridique qui leur est applicable en matière disciplinaire. Et l’on ne peut que souhaiter une suite favorable à une telle initiative.

Que cette évolution ait été impulsée à la suite d’un débat juridictionnel et non à la suite d’un débat parlementaire dit également quelque chose de la réalité du droit applicable aux magistrats de l’ordre judiciaire. Ce n’est visiblement pas en discutant avec des responsables politiques que le cadre juridique applicable à notre profession sera mieux garanti.

Magistrats suspectés de corruption : Qui peut dire où commence la quête ?

Qui peut dire où commence la quête est une phrase souvent associée au mythe du Graal. Ici, le Graal serait l’idée qu’une série de procédures ou de moyens de contrôles s’avéreraient aptes à prévenir tout recrutement de personnes susceptibles de manquer aux devoirs de leurs mission. Mais les faits sont têtus et la faiblesse des individus garde son mot à dire.

En l’espèce, à l’occasion de la mise en détention provisoire d’une magistrate par la suite placée sous contrôle judiciaire et qui a exercé en Corse, la question de la corruption des membres du corps judiciaire s’est imposée dans le débat public. Si on pouvait s’attendre à des prises de positions de responsables politiques, les propos de magistrats (en dehors de ceux concernés par l’enquête) sur une affaire qui pour l’instant n’est pas jugée au fond a de quoi surprendre.

Il est bien entendu normal que les magistrats répondent de leurs actes dès lors que ceux-ci ne relèvent pas de l’exercice légal de leurs fonctions, comme n’importe quel citoyen. Comme n’importe quel citoyen ils ont aussi droit au respect de la présomption d’innocence.

Ceci étant dit, comment ne pas voir que l’administration judiciaire applique parfois une géométrie fort variable au traitement aux situations dont elle a connaissance ?

La lecture certes aride des arrêts du Conseil d’Etat et des juridictions administratives ainsi que les décisions du Conseil supérieur de la magistrature révèle d’intéressants paradoxes.

Ainsi un chef de cour qui délivre un avertissement à un magistrat dans des conditions qui justifient l’annulation de la sanction prise après une procédure irrégulière caractérisant un manquement au respect du principe du contradictoire ne voit-il pas sa progression de carrière entravée (CE, 12 février 2021, 437235). Il n’en a été tiré aucune conséquence par l’administration judiciaire si ce n’est de continuer à promouvoir ledit chef de cour. La violation des droits de la défense est parfois directement sanctionnée par les juridictions administratives ( CE, 26 décembre 2011, 348148, le magistrat objet de la décision a dû introduire un autre contentieux pour voir admettre la reconstitution de ses droits à la carrière).

La multiplication des décisions de l’instance disciplinaire qui ne sanctionnent pas les poursuites intentées par le ministre de la justice constitue une autre indication (CSM S 252, 15 septembre 2022, accessible sur le site du CSM).

La confusion atteint à son comble lorsque l’on constate que l’autorité poursuivante qui a fait procéder à une inspection avant de saisir l’instance disciplinaire , ne soutient finalement pas les griefs initialement allégués contre les personnes poursuivies…(CSM S 265, 7 décembre 2023 accessible sur le site du CSM).

L’Etat est aujourd’hui régulièrement condamné pour des atteintes aux droits à la carrière de magistrats qui ont été poursuivis sans qu’au final un fait disciplinaire n’ait été prouvé à leur encontre (TA Paris, 9 juin 2023, 2016056).

S’agissant de la nomination des magistrats en Corse, et des risques d’une telle affectation la situation apparaît très particulière dans la mesure ou des magistrats ont été poursuivis pour des faits qui, au final n’ont pas été sanctionnés (CSM S 239, 16 décembre 2020) , alors que d’autres se trouvent aujourd’hui cités pour des comportements « s’étirant » sur plusieurs années. Ceux qui diffusent aujourd’hui un avis éclairé mais n’ont alors rien vu étaient-ils en vacances pendant tout ce temps ?

Qui peut dire où commence la quête ?

Article 52 du statut de la magistrature : Au cours de l’enquête, le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en cause par un magistrat d’un rang au moins égal à celui de ce dernier et, s’il y a lieu, le justiciable et les témoins. Il accomplit tous actes d’investigation utiles et peut procéder à la désignation d’un expert. Lorsque la technicité des actes d’enquête le justifie, le rapporteur peut solliciter du garde des sceaux, ministre de la justice, que soit diligentée une enquête administrative. Le rejet exprès de cette demande doit être motivé. Le silence du garde des sceaux, ministre de la justice, pendant un délai de deux mois vaut rejet de cette demande. A la demande du rapporteur, formulée dans le mois suivant la décision implicite de rejet, les motifs de celle-ci lui sont communiqués dans le mois suivant cette demande. L’inspection générale de la justice adresse son rapport au garde des sceaux, ministre de la justice, lequel transmet sans délai le rapport au Conseil supérieur de la magistrature. Le magistrat incriminé peut se faire assister par l’un de ses pairs, par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau. La procédure doit être mise à la disposition de l’intéressé ou de son conseil quarante-huit heures au moins avant chaque audition.