Réforme de la loi organique : un naufrage de la raison juridique !
La lecture du texte de la loi organique voté en commission mixte paritaire le 11 octobre 2023 les magistrats a de quoi faire frémir : le texte du serment est modifié une nouvelle fois, la faute disciplinaire reçoit une nouvelle formulation extensive et la liberté syndicale d’expression est désormais soumise au principe d’impartialité. Autrement dit notre législature combine les vieilles idées de la « Commission Cabannes » ( sur l’éthique dans la magistrature, en 2004, pour les plus jeunes, et dont les conclusions ont été largement reprises sous la présidence de Nicolas Sarkozy à partir de 2007), et ceux de la présidence de François Hollande (pendant le mandat duquel le serment avait été déjà modifié). Recycler les fonds de tiroirs, comme projet disruptif et innovant, on a déjà vu mieux. Sur le serment il en résulte une aberration logique puisque les magistrats ne peuvent pas être relevés du serment qu’ils ont prêté. Donc le texte du serment en vigueur lors de chaque entrée dans la magistrature est en principe toujours en usage. Mais au-delà de cette question la pratique désormais habituelle de la modification du serment est très inquiétante. Les gouvernements non démocratiques y ont eu souvent recours lorsqu’il s’est agi de mettre au pas une magistrature considérée comme trop turbulente. En s’amusant à de tels ajustements les gouvernants élus démocratiquement donnent à ceux qui leur succéderont les clefs pour modifier en profondeur les termes du serment sans qu’il soit désormais possible de s’y opposer juridiquement ; la question ne sera plus « est-ce possible ? », mais « jusqu’à quel point est-ce possible dès lors qu’il y a plusieurs précédents ? », ce qui permettra toutes les interprétations et validera par avance toutes les dérives éventuelles.
La nouvelle formule du serment : « Je jure de remplir mes fonctions avec indépendance, impartialité et humanité, de me comporter en tout comme un magistrat digne, intègre et loyal et de respecter le secret professionnel et celui des délibérations.”
S’agissant de la faute disciplinaire les magistrats gagnent de possibles mises en causes. A l’ancienne version : « Tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ».Il est substitué :
« Tout manquement par un magistrat à l’indépendance, à l’impartialité, à l’intégrité, à la probité, à la loyauté, à la conscience professionnelle, à l’honneur, à la dignité, à la délicatesse, à la réserve et à la discrétion ou aux devoirs de son état constitue une faute disciplinaire. »
Enfin pour la mise en cause des voix dissidentes cela donne : « L’expression publique des magistrats ne saurait nuire à l’exercice impartial de leurs fonctions ni porter atteinte à l’indépendance de la justice. »
Et la Commission mixte de paraphraser inconsciemment (à tous les sens du terme) le philosophe Wittgenstein : Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence !
Le petit plus : cette dernière modification est inscrite à l’article 10 qui vaut pour l’ensemble du corps judiciaire et tout comme les références à la réserve et à la discrétion, elle ne concerne pas seulement les représentants des organisations syndicales. Si tel avait été le cas la disposition aurait dû être inscrite à l’article 10-1 de la loi organique. C’est donc bien une régression globale de la liberté d’expression, contraire aux standards internationaux que le Parlement a trouvé bon d’adjoindre au statut de la magistrature judiciaire. Et a ainsi donné un possible levier de plus à la disposition d’un gouvernement qui aurait un exercice du pouvoir non démocratique et qui souhaiterait museler encore plus l’expression de notre profession. Chacun comprendra mieux la campagne médiatique orchestrée en matière de dénigrement du fait syndical dans la magistrature judiciaire dont les termes ont finalement réussi au-delà de toutes les espérances (quoi qu’on pense par ailleurs de ce qui a été fait ou pas au nom de l’exercice de la liberté syndicale au sein du corps judiciaire).
Notre organisation ne compte pas en rester là et adressera une « porte étroite » au Conseil constitutionnel dans le cadre de sa saisine notamment sur ces trois points. Elle diffusera une analyse du texte définitif une fois celui-ci promulgué.
Le Conseil d’Etat a validé la présence d’un magistrat honoraire au sein du CSM
Dans un arrêt d’assemblée du 11 octobre (n°472699) le Conseil d’Etat a admis qu’un magistrat honoraire pouvait siéger au Conseil supérieur de la magistrature dans la mesure où les magistrats honoraires « … ne sauraient pour autant, en raison de la rupture avec le service qui caractérise l’admission à faire valoir ses droits à la retraite, être regardés comme appartenant à l’ordre judiciaire au sens de ces dispositions ». Conclusion : pour échapper à l’ensemble des devoirs supplémentaires qui seront imposés au corps judicaire demandez votre mise à la retraite : votre liberté d’expression sera alors totale. Certes vous aurez moins d’argent, mais vous aurez multiplié par 15 ou 20 les occasions de vous amuser. Vous n’êtes plus attractif ? Soyez subversif !