Au regard de l’attente des justiciables présents en France, c’est un fait, la justice judiciaire dysfonctionne. On ne peut pas leur donner tort. En matière civile les condamnations peuvent avoir des effets dévastateurs et les délais sont en moyenne le double de ce qui existe dans de nombreux états d’Europe. En matière familiale, pouvoir voir son juge plus de 5 minutes après attendu l’audience pendant des mois relève du miracle. En matière pénale on ne compte plus les infractions qui sont considérées comme n’étant pas suffisamment sanctionnées, lorsqu’elles ne sont pas carrément imputées aux magistrats. Dont acte, tout cela est exact.

Il est bien normal que la presse relaye tous ses dysfonctionnements puisqu’ils existent. Mais les imputer à l’incurie des magistrats en général et à l’absence d’impartialité des magistrats syndiqués en particulier est une rhétorique facile, très facile. Elle est d’autant plus facile lorsque l’on oublie des pans entiers de la réalité des fonctions à laquelle les magistrats et agents du ministère de la justice doivent faire face tous les jours.

A cela il sera répondu que « Le Figaro » est un journal d’opinion et qu’il est bien libre d’en informer les Français. Certes, mais avoir une opinion est une chose, la diffuser au titre du travail d’information qui pèse aussi sur les médias en est une autre.

Or comment ne pas constater à la simple lecture des personnes entendues dans la publication de Judith Waintraub « Laxisme et politisation : la grande dérive de la justice » que méthodologiquement, quelque chose ne va pas ? Si cet article était un réel travail d’investigation journalistique nécessiterait (quoi que le journaliste pense de leurs idées), la mise en parallèle de la position des magistrats visés par la publication : les syndicalistes du Syndicat de la magistrature, ou les magistrats nommés par l’article. C’est le cas pour Jean-Michel Hayat par exemple qui a visiblement eu le grand tort d’être nommé à son poste pendant la présidence de François Hollande, alors que la vraie question devrait être celle son action ou de son inaction à la tête de sa juridiction, et pas celle de l’autorité qui l’a nommé.

Fallait-il attendre une autre majorité politique pour pourvoir à sa nomination à la tête du Tribunal judiciaire de Paris? Ou choisir un magistrat qui se serait porté candidat sur une liste électorale plus proche de la ligne éditoriale qu’entend promouvoir la rédaction du « Figaro » ?

Nous rejoignons « Le Figaro » sur un point :

un vrai débat politique doit être conduit sur ce que l’on peut attendre du fonctionnement d’un système judiciaire. Mais un tel débat doit être appuyé sur un travail intellectuel honnête. Le titre accrocheur, et la méthodologie douteuse ne permettent pas de suivre un argumentaire qui n’est pas une réflexion politique mais doit bien être qualifié en l’occurrence de publication politicienne.

Sur le fond on rappellera que « le pouvoir politique » a aussi une part non négligeable dans ce qui se passe ou non en terme de carrière des magistrats de l’ordre judiciaire. Ainsi rencontrer un candidat au poste de procureur de la République d’un tribunal important n’est prévu par aucun texte. C’est un sport cependant pratiqué par les plus hautes autorités de l’Etat. Demander à être reçu par un responsable politique est néanmoins interdit aux magistrats depuis un décret publié en 1935 mais apparemment il est pour certains tombé aux oubliettes. Dans le même ordre d’idée il n’est pas rare de voir promu un chef de juridiction qui a infligé des sanctions illégales à ses subordonnées (puisqu’annulées par la juridiction administrative). Mais curieusement, ces informations sont rarement publiées et commentées.

Quant aux conditions de travail point n’est besoin de rappeler que les audiences tardives et les délais excessifs à quelques exceptions disciplinaires près ne sont pas structurellement imputables aux magistrats: c’est bien la volonté de ne pas pourvoir aux besoins des justiciables qui est à l’œuvre depuis de très nombreuses années.

Le coût du budget de la justice si on l’évalue à 10 milliards annuels représente une dépense de 49 centimes d’euros par jour pour une population de 67 millions d’habitants. Un consommateur qui paye un café en terrasse à 3 € (prix d’ami) consomme en moyenne l’équivalent de 6 jours de budget judiciaire (c’est tout le charme des « chiffres uniques », mais celui-ci est rarement rappelé et mis en perspective).

La justice travaille mal d’accord, mais elle est loin d’être la seule à le faire.

Et c’est loin d’être uniquement la faute des juges.