la suite du décès survenu le 27 avril 2024 d’un adolescent de 14 ans tué à Châteauroux à la suite de blessures par arme blanche infligées par un mineur de nationalité afghane, le 4 mai 2024 une manifestation a eu lieu devant le palais de justice d’Angers pour dénoncer le laxisme des juges qui serait à l’origine de ces faits de délinquance. Le 14 mai 2024 plusieurs agents de l’administration pénitentiaire ont été tués en service à l’occasion du transfert d’un détenu par la route en Normandie et leurs collègues ont été grièvement blessés. Selon les informations communiquées par la presse le détenu évadé serait impliqué dans un trafic de stupéfiant. Nous adressons nos condoléances aux familles et aux personnels durement impactés par ces décès. A compter du 13 mai 2024 une série d’attaques d’une gravité exceptionnelle a proprement mis à sac l’agglomération de Nouméa en Nouvelle-Calédonie et a causé la mort de plusieurs personnes dont des gendarmes

Faits divers ou affaiblissement de l’Etat ?

Ce que révèle la manifestation d’une quinzaine de personnes sur les marches du palais de justice d’Angers pour dénoncer le laxisme des juges qui « tuent nos enfants » (d’après la banderole déployée sur le parvis) c’était clairement de « cibler » un juge membre du Syndicat de la magistrature présent dans les effectifs de ce tribunal .

Ce que révèle l’attaque du fourgon pénitentiaire est un profond mépris de la vie humaine. Qu’attendre au demeurant, de trafiquants de drogue ?

Ce que révèlent les situations de Nouméa ou de Mayotte ce sont des délitements complets des services étatiques et aussi de pans entiers de la société civile. A Nouméa pour ne citer qu’un exemple, un dépôt pharmaceutique desservant le principal hôpital de la ville a fait l’objet d’un d’incendie mettant ainsi en danger le suivi médical de centaines de patients. La qualification terroriste d’un tel acte mérite d’ être interrogée.

Comment « sauver » l’idée de justice face à la faiblesse structurelle de l’administration judiciaire ?

Notre organisation ne soutient pas l’idée d’un « réarmement pénal » ou d’une « décivilisation » contre laquelle il conviendrait de lutter. Elle s’inquiète en revanche de la faiblesse des moyens déployés pour répondre à un changement d’ampleur et de nature de la criminalité tant au niveau « individuel » (les attaques à l’arme blanche), que dans le cadre de réseaux structurés (les attaques de lieux pénitentiaires avec des armes de guerre), ou d’émeutes dont l’ampleur interroge (Mayotte et la Nouvelle-Calédonie).

Moins que la question du nombre de membres des forces de l’ordre (qui est néanmoins essentielle) c’est bien celle de leurs missions et de moyens qui leur sont alloués pour y faire face qui mérite qu’on y réfléchisse durablement.

« Il faut qu’il y ait du bleu dans la rue » est la boussole qui semble servir de guide toute politique visant à juguler la délinquance. Mais cette analyse montre ses limites avec ce qui relève de la délinquance qui précisément ne se voit pas dans la rue et qui souvent sert d’armature au déploiement de la délinquance de voie publique.

Quelle serait l’efficacité d’une police du maintien de l’ordre qui ne serait pas adossée à une vraie police judiciaire ?

Et pourtant la fonction d’enquête et de procédurier est considérée comme de moins en moins essentielle au sein de la chaîne de commandement en matière policière. A preuve : la réforme de la police judiciaire qui l’a transformée en supplétif des services de maintien de l’ordre.

Or, il n’y a pas de délinquance structurée sans « petites mains », sans « bases arrières », sans « intermédiaires » et sans réinvestissement des profits dans l’économie légale. Lorsque l’on considère que l’interpellation des personnes « à la base » de certaines organisations criminelles suffit à « résoudre » une « affaire » cela revient simplement, comme le savent tous les professionnels de terrain, à favoriser le déploiement d’un réseau concurrent ou d’une autre équipe sur le même territoire.

Suites procédurales pour concerto démagogique

S’agissant de l’autorité judiciaire la politique du maintien de l’ordre à moindre coût montre désormais elle aussi cruellement sa limite. L’attaque du fourgon pénitentiaire en est un tragique exemple.

L’autorité judiciaire n’a plus ni le temps ni les moyens d’agir à grande échelle pour assurer le maintien de l’ordre public et l’exécution des peines. Les « grandes affaires » ont été concentrées dans un nombre restreint de sites judiciaires ce qui a eu pour effet à terme, de les emboliser complètement. Plutôt que de déployer des stratégies de traitement au cas par cas la loi est venu centraliser au maximum les moyens et les compétences dans les « pôles » créés à cet effet ce qui a eu pour effet de dévitaliser et de déprofessionnaliser des services entiers dans les différents territoires.

Quant au renforcement des dispositions légales, ici encore durcir la loi sans se donner les moyens de la faire exécuter , c’est selon le mot du Cardinal de Richelieu, promouvoir ce qu’on cherche à interdire.

Constance, nuance et intelligence devraient être au rendez-vous, mais…

Il ne peut pas y avoir de réponse simple à un problème complexe.

Il ne peut pas non plus y avoir de volatilité dans l’action publique en matière de traitement de la délinquance.

La répression des violences ou des agressions sexuelles intrafamiliales est une nécessité mais chacun comprendra que « déployer du bleu dans la rue » ne sert pas à grand-chose face à de tels comportements. De même connaissance des circuits financiers qui permettent le blanchiment d’argent ne peut pas être acquis en quelques heures. Développer la compétence des personnels d’enquête et valoriser leur action est indispensable. Mais comment trouver le temps de se former dans les conditions de fonctionnement de la plupart des services ?

Corps judiciaire , corps en souffrance

Notre organisation reçoit des signaux très inquiétants qui remontent toujours des juridictions en dépit des « milliards » alloués et des « équipes » qui doivent tout améliorer . Face à une organisation qui est pensée pour contrôler le service plus que pour produire des réponses efficaces, la perte de sens est évidente. Alors que la presse a fait état de la tentative de suicide d’un fonctionnaire du greffe à Valenciennes, nous avons appris le décès brutal d’une de nos collègues affectée à Tours âgée de 46 ans. Ici encore notre organisation note que les personnels continuent de payer le prix fort de choix purement budgétaires cela sans nécessairement recevoir un minimum de soutien de l’administration.

Un ministère trop peu présent lorsque la sécurité des personnels est en danger.

En fait, notre organisation est étonnée de voir à quel point l’administration néglige ses obligations de protection envers ses agents. Combien d’entre nous ne vont-ils jamais voir le médecin de prévention alors qu’il s’agit d’une obligation légale ?Combien d’entre nous ne se voient jamais proposer le bénéfice de la protection fonctionnelle lorsqu’ils sont mis en danger ? Combien d’entre nous renoncent à bénéficier du droit à congé auquel ils peuvent prétendre pour ne pas pénaliser le service ? Combien sont susceptibles d’engager leur responsabilité pour avoir en réalité trop (c’est-à-dire souvent mal) travaillé ? Combien disposent d’un poste de travail adapté à leur état de santé ? Quant à l’exercice du droit de retrait cela reste largement un tabou, y compris en cas d’audiences tardives qui exposent les personnels au danger de retours nocturnes.

Un motif d’inquiétude supplémentaire : l’idéologie de la transparence à géométrie variable

Le Conseil d’Etat a finalement validé le décret visant à organiser des audiences filmées, disposition que nous avons été le seul syndicat de magistrats à contester (avec le Syndicat des avocats de France et le Conseil national des Barreaux, sur des moyens différents au demeurant). Vous trouverez ci-dessous nos analyses relatives à cet arrêt.

Dans un autre ordre d’idées la question de la mise à disposition des décisions de justice pour alimenter les algorithmes prédictifs produit elle aussi d’importants effets de « renseignement » auprès de qui veut « cibler » des juges.

Rappelons enfin que tous nos décrets de nomination ou d’affectation sont publiés au Journal Officiel et qu’il est donc facile de « suivre à la trace » un magistrat judiciaire (voire de le localiser effectivement puisqu’en principe, il est aussi statutairement tenu de déclarer une adresse près du siège de sa juridiction).

Faut-il rappeler le sort de notre collègue attaquée au flash-ball à son domicile en région parisienne il y a quelques années pour établir que notre analyse s’appuie sur des faits et pas seulement sur des hypothèses ?

Cela alors que la communication « descendante » en direction des personnels est souvent fort limitée pour leur rappeler leurs droits et assurer leur protection au sein des juridictions.

La protection qui doit être garantie à la personne du juge reste un pilier de tout régime démocratique. Y porter atteinte c’est corrompre toute idée de justice et ouvrir grande la porte au risque de chantage et de corruption. Car la sécurité des membres des tribunaux ne sera plus ancrée dans la loi mais dans l’usage de la force ou dans le bénéfice de l’influence.

Comment assurer un minimum de sécurité aux magistrats avec une telle publicité institutionnelle, une telle absence de protection fonctionnelle et plus largement de soutien ministériel ?

De quoi l’administration judiciaire a-t-elle peur ? S’il s’agit des délinquants, l’heure est grave ! S’il s’agit des critiques politiciennes qui pourraient émerger à la suite d’un tel soutien, c’est encore plus grave.

N’est-il pas temps de réaffirmer qu’il ne peut y avoir d’exercice normal et serein de la fonction juridictionnelle sans assurance de la sécurité absolue de celui qui l’exerce ? Faudra-t-il un assassinat pour être entendus ?

Pour CFDT-Magistrats la sécurité est une nécessité pour exercer le métier, elle n’est pas à discuter.