Quelques semaines après son installation le Gouvernement de Michel Barnier a été renversé à la suite d’une motion de censure, la deuxième couronnée de succès depuis l’avènement de la V° République. Une période assez incertaine s’ouvre donc pour la poursuite de la conduite des affaires publiques en général et des politiques du ministère de la justice en particulier.Car les enjeux de cette fin d’année et de l’année 2025 apparaissent considérables. Du développement du trafic de stupéfiants en passant par le procès dit de Mazan et les perspectives de déploiement de l’intelligence artificielle, une profonde crise d’efficacité et de légitimé se manifeste à l’égard de la fonction juridictionnelle. Nous souhaitons dès à présent bonne chance à François Bayrou et à son ministre de la justice Gérald Darmanin que notre organisation a déjà rencontré lors de ses précédentes fonctions au ministère de l’Intérieur
Annulation d’une évaluation, CFDT-Magistrats s’interroge sur les conséquences
Un de nos collègues a récemment obtenu l’annulation d’une évaluation le concernant au motif de l’absence de communication contradictoire d’éléments retenus par l’autorité hiérarchique. La décision n’est pas publiée, et le magistrat n’a pas souhaité qu’elle soit diffusée.
La motivation retenue par la juridiction administrative est classique et n’innove pas. Ce qui reste surprenant c’est ce que traduit cette décision du point de vue sociologique.
L’administration centrale a soutenu le rejet de la demande présentée par le magistrat.
Tout magistrat requérant s’oppose au Garde des Sceaux lui-même voire au Premier ministre lorsqu’il conteste une décision le concernant y compris lorsqu’elle émane du CSM.
En l’espèce le ministère a soutenu le rejet de la demande présentée par le collègue au motif que celui-ci ne démontrait pas l’existence d’un vice de procédure.
La juridiction administrative a relevé que le magistrat requérant pouvait sans être contredit, soutenir que la procédure d’évaluation présentait un caractère non contradictoire.
D’où un réel malaise : pourquoi l’administration a-t-elle soutenu l’évaluation réalisée par le chef de cour dans ces conditions ?
N’avait-elle pas intérêt à acquiescer au moyen ce qui, du point de vue du magistrat requérant, aurait garanti un minimum de neutralité dans l’examen des autres aspects de sa situation et notamment de ses demandes de mutations ?
Alors que le pays traverse une phase de son évolution politique pour le moins agitée le fait que l’administration n’affirme pas la primauté des principes généraux du Droit dans le déroulement de la carrière des magistrats apparaît préoccupant.
Le principe de soumission hiérarchique est une chose importante dans une administration mais le principe du respect du contradictoire n’est pas rien non plus dans un Etat de droit qui souhaite le rester.
Une obligation de loyauté à géométrie variable.
La délivrance d’avertissements ou la rédaction d’évaluations fondées sur des informations non contradictoires est régulièrement sanctionné par la juridiction administrative.
Ce qui est en réalité assez troublant, car l’obligation de loyauté (qui figure dans le serment prêté par tous les magistrats) fait l’objet de nombreuses prescriptions déontologiques et est régulièrement sanctionnée par les instances disciplinaires lorsqu’un magistrat manque d’informer ses supérieurs de certains aspects de son activité ou de sa vie privée.
Or au sein du corps judiciaire la loyauté a vocation à régir toutes les relations professionnelles. Elle concerne la dimension « ascendante » (du bas vers le haut), mais elle vaut aussi pour les relations « horizontales » entre collègues du même grade et s’applique enfin aux relations « descendantes » (du haut vers le bas). Aucun des rapports régulièrement publiés par les instances du corps judiciaire (Commission d’avancement, Inspection de la Justice, CSM) ne traite spécialement des conséquences que peut avoir une évaluation ou un avertissement annulé.
Ces conséquences sont nombreuses pour le déroulement de la carrière du magistrat évalué, alors qu’il n’en existe visiblement aucune pour le chef de cour dont le travail a été juridiquement sanctionné.
CFDT-Magistrats appelle au remplacement de l’évaluateur dont l’évaluation est annulée
A notre époque ou l’aspiration à de nouveaux rapports humains permettant d’éviter les abus de pouvoir s’exprime chaque jour, comment imaginer qu’au sein du corps judiciaire une prescription déontologique concourant à les contenir ne soit pas favorisée et mise en œuvre ?
Pour éviter que l’on plaque une nouvelle fois sur l’autorité judiciaire l’image d’une justice aux ordres ne convient-il pas dès aujourd’hui de prévenir déontologiquement le recours à des protocoles qui en laissent perdurer l’idée ?
Le pouvoir hiérarchique n’est pas un pouvoir de domination
L’exercice du pouvoir hiérarchique est une prérogative profondément démocratique lorsqu’elle se conforme aux critères procéduraux prévus pour son application.
La coordination qu’implique le travail en commun d’un grand nombre de personnes pour la réalisation d’un objectif social impose le recours à ce type de rapports professionnels et il n’est pas sérieusement possible de le remettre en cause.
Cependant, lorsque le pouvoir hiérarchique s’émancipe du respect de ces principes, et qu’il ne respecte plus les obligations qui lui sont imposées, il se rend auteur de ce que la jurisprudence administrative a défini comme l’excès de pouvoir.
Le pouvoir hiérarchique dérive alors en une forme de pouvoir de domination et non plus d’organisation.
Ce qui, dans le cadre de l’administration judiciaire peut avoir de graves conséquences.
La langue des évaluations doit traduire le réel et pas autre chose
Comment le magistrat évalué dans les conditions sanctionnées par la juridiction administrative pourrait-il avoir réellement confiance dans la nouvelle évaluation qui lui sera proposée ?
Chacun d’entre nous sait bien que la « langue des évaluations » est une matière quasi-ésotérique pour celui qui ne la parle pas et qu’un « sous-entendu » peut s’avérer plus dévastateur qu’une mention plus « identifiable » et plus « directe » contre laquelle il est déjà bien difficile de se défendre utilement.
Comment d’une manière générale objectiver ce que le magistrat fait bien ou pas dans un système qui ne connaît aucune définition cohérente des charges de travail ?
Comment inversement l’administration pourrait-elle fonder l’appréciation relative à la carrière du magistrat sur la base d’informations qui lui sont communiquées par une autorité dont l’exercice de ses attributions a été stigmatisé ?
Replacer le CSM en gardien de l’indépendance des magistrats
Le droit applicable aux magistrats du corps judiciaire comporte encore aujourd’hui un nombre limité de garanties contre l’exercice d’un pouvoir hiérarchique « excessif ». Il y aurait beaucoup à dire sur l’imaginaire qui fonde une telle absence de conceptualisation des garanties, mais ce n’est pas le propos ici.
La récente réforme de la loi organique relative au statut de la magistrature a, une fois encore, méconnu l’intérêt de l’édiction de garanties supplémentaires cohérentes dans un système complet de mécanismes visant à assurer l’indépendance des membres du corps judiciaire.
La situation de la représentation nationale actuelle laisse peu d’espoirs de voir améliorer cette situation avant la fin du quinquennat. Et bien malin celui qui pourra dire comment s’organisera le prochain.
C’est pourquoi plutôt que d’envisager de réclamer une réforme, qui dans les circonstances actuelles n’adviendra pas, notre organisation envisage d’écrire au Conseil supérieur de la magistrature pour l’inviter à réfléchir sur un simple point de droit : celui qui consisterait à encourager les autorités chargées de l’évaluation à déléguer leurs compétences lorsqu’elles ont été à l’origine d’une évaluation annulée.
C’est peu dans l’absolu, mais c’est déjà beaucoup pour la tranquillité d’esprit des collègues qui ont eu le courage de faire respecter les principes généraux du droit.