La diagonale, juin 2022

Retour sur la Circulaire de localisation d’emploi présentée le 28 Juin 2022

Une « CPE » en « deux temps » (et trois mouvements…)

Le 28 juin 2022 la Direction des services judiciaires (DSJ)  a convoqué une commission permanente d’études (CPE) au cours de laquelle a été présentée la circulaire de localisation des emplois de magistrats (CLE) , ainsi que le bilan social du ministère de la justice.

Passage en HH de 4 tribunaux du groupe 2 et création de postes Bbis dans plusieurs juridictions.

L’ordre du jour particulièrement important a justifié un report de l’examen du bilan social. Il comportait également le repyramidage de postes de chefs de juridiction du « groupe 2 » en « Hors hiérarchie » et la création de postes de « Bbis » dans ces juridictions (respectivement : Beauvais, Béziers, Mamoudzou et Nouméa).

Les paradoxes de la « CLE » …

La DSJ  à raison, a insisté sur le nombre de créations d’emplois prévues dans le futur et sur l’existence d’une création nette d’emplois au titre de la CLE 2022.

Mais cette évolution, qu’il convient de reconnaître, a été largement incomprise dans les arbitrages locaux auxquels elle a procédé. Toutes les organisations syndicales de magistrats ont indiqué ne pas les comprendre. Elle a aussi déçu par son manque d’ambition.

Le Directeur des services judiciaires a indiqué qu’à l’avenir, en raison de l’existence d’un projet de recrutement massif prévu sur l’ensemble de la nouvelle législature, l’analyse (décevante) de la CLE n’aurait plus lieu selon le même protocole et selon les mêmes conditions. En effet, selon cette analyse il serait possible de faire apparaître des « besoins objectifs » des juridictions et de les combler à mesure de l’évolution des recrutements.

Notre organisation ne partage pas son optimisme :

Tout d’abord le référentiel sur les charges de travail actuellement en cours d’élaboration est loin d’être un instrument consensuel. Son existence est certes un progrès . Mais ce travail qui intervient cependant plus de 10 ans après les premiers engagements à en élaborer un, ne voit le jour qu’en raison de l’action combinée de la Cour des comptes et de la pression des manifestations de défiance dans les services envers l’administration.

Notre organisation doute fortement de la parfaite cohérence d’un tel outil et de son déploiement à bref délai tant les réserves méthodologiques qui entourent les travaux actuels restent importantes.

Tous les référentiels de calcul de la charge de travail antérieurs, et notamment le logiciel « Outigreffe » ont eu pour effet de sous-estimer les besoins réels des juridictions.

Ensuite certaines disparités restent largement incompréhensibles et on voit mal comment, à l’avenir, l’administration pourra les expliciter.

Pour prendre un seul exemple, dans le ressort de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, selon les termes de la CLE, 77 magistrats du siège sont affectés dans les juridictions du premier degré dans le Var qui compte un million d’habitants et 200 dans les Bouches-du-Rhône où habitent deux millions de personnes. Certes, la juridiction marseillaise comprend des services spécialisés et a des compétences propres qui excèdent son ressort, mais cela justifie-t-il un tel écart ? Et comment l’expliquer réellement ? En fait, la situation critique de la « CLE » est parfaitement explicable lorsque l’on se rapporte aux conclusions du « bilan social » du ministère de la justice qui devait être abordé le même jour.

…et les non-dits du « bilan social »

Pourquoi ne pas reconnaître, ici comme ailleurs l’évidence des sous-effectifs ?  En réalité, si  la CLE ne correspond à aucune réalité de terrain c’est que depuis des années les évolutions d’activité dans les services sont payées en premier lieu par les agents avant que de l’être par le budget de l’État !

L’administration  reconnaît sans fard dans le bilan social que « la durée hebdomadaire moyenne de travail des magistrats » est largement supérieure à 50 heures. Une telle moyenne doit bien entendu s’analyser comme une forme de litote qui évite de décrire réellement ce que subissent bon nombre de magistrats dans les juridictions.

Pour notre organisation cette « moyennisation » est une pudeur mal placée, un énième élément de langage destiné à ne pas aborder le problème essentiel : tous les expédients possibles et imaginables ont depuis des années été déployés pour ne pas recruter de magistrats, et l’on arrive aujourd’hui au bout d’un système visant à évacuer la réalité du fonctionnement des services de sa description théorique et idyllique.

Souffrance au travail en région : la menace du pénal !

La situation ne serait pas si grave, s ‘il ne remontait du terrain d’étranges échanges relatifs à l’organisation de l’activité juridictionnelle. Ainsi lors d’un comité technique des services judiciaires, un chef de Cour a indiqué que quel que soit l’effectif et les horaires de travail à l’occasion des permanences, les personnels « soumis à l’article 10 » (autrement dit les magistrats), devaient traiter les procédures quel que soit l’horaire de fin de travail. Et il ajoutait que ne pas le faire pouvait relever d’une qualification pénale. Il précisait que les règles du repos hebdomadaire devaient cependant être respectées.

Ah , Monseigneur est trop bon, serait-on tenté d’écrire, si une telle position n’était pas ubuesque et tragique.

Indiquer qu’une autorité hiérarchique, qui ne respecte pas son obligation d’organiser un service raisonnable, pourrait en plus poursuivre des personnels épuisés par la charge de travail démesurée qui leur est imposée traduit un état d’esprit particulièrement déplorable.

En ce sens, le tribunal est bien un hôpital comme les autres : on y réprime toute expression qui ne loue pas la nécessité de sacrifier sa vie pour on ne sait quel tableau excel.

Une seule issue : structurer une entrée en résistance

Notre organisation, en collaboration avec sa fédération de rattachement va travailler sur les possibilités de formalisation de droit de retraits collectifs en cas de dépassement habituel des horaires de travail, et d’horaires de travail tardifs.

L’argument selon lequel le danger pour la vie des personnels placés dans ces situations ne serait pas immédiat ne tient pas : d’une part, la perturbation régulière du cycle circadien expose les travailleurs à des pathologies, notamment cardiaques, les études épidémiologiques l’ont démontré. D’autre part, une sortie tardive d’un certain nombre de palais de justice les exposent au risque d’agression ou d’accident de trajet.

Enfin, notre organisation, après avoir pris connaissance du « bilan social » ne peut qu’être effarée par le nombre ridiculement faible de médecins de préventions actuellement recrutés par le ministère pour assurer la santé et la sécurité de ses personnels : 46 sur la France métropolitaine, soit moins d’un pour deux départements  et près de 80 000 agents.

Cela sans évoquer le refus de l’administration de faire procéder à une expertise à la demande du Comité hygiène et sécurité ministériel !

C’est bien une politique globale de mépris de la santé et de la sécurité des personnels à laquelle il convient de mettre un terme au plus vite.

Notre organisation mettra tout en œuvre pour réaliser au plus vite cet objectif et rétablir un minimum de légalité dans les pratiques de l’État en qualité d’employeur du ministère de la justice.

INFORMATIONS DIVERSES

Elections dans la magistrature : la CFDT de retour après 17 ans d’absence

Notre organisation a présenté des candidatures dans 12 cours d’appels sur 36 pour la première fois depuis 2005. Nous avons recueilli 0,6 % des voix des collègues, l’absence de liste dans les autres ressorts faisant baisser la moyenne nationale. Le pourcentage selon les ressorts a varié en moyenne à 3 % avec un maximum à 14 % à Riom. Mais que tout le monde se rassure :

bien que l’administration ne nous ait mis à disposition les moyens de communication prévus par la réglementation que deux semaines après l’ouverture du scrutin (et non au début comme l’exige le décret relatif aux élections dans la fonction publique), notre organisation ne sollicitera pas l’annulation des opérations électorales.

Au contraire, bonne joueuse, elle remercie les candidats qui l’ont soutenue et félicite les autres listes en présence. Mais elle les prévient aussi : à l’instar du « Terminanor », en 2025, « We’ll be back ! » ( traduction : » on reviendra » et comme lui, ce ne sera pas dans les mêmes conditions…).

D’ici là peut-être que sur la préconisation encore à vérifier des Etats généraux de la justice (une réunion est prévue avec la CFDT à l’Elysée prochainement ) sera entrée en vigueur et les modes de scrutins censitaires applicables au corps judiciaire auront peut-être cessé d’exister !

Jurisprudence du Conseil d’État

Dans un arrêt du 22 juin (n° 444254) le Conseil d’État a validé la délibération irrégulière du jury de classement de l’ENM ayant décidé d’une exclusion. La décision, bien que classique, est intéressante car elle revient sur la différence qui existe entre une procédure disciplinaire et une délibération justifiant d’une exclusion. Celle-ci n’a pas à être motivée. En l’espèce le Conseil d’État a également écarté un grief tiré de la méconnaissance des dispositions du règlement intérieur de l’Ecole au bénéfice du respect du principe du contradictoire par l’auditeur évincé, et a fait mention de l’audition des autres auditeurs de justice par les responsables du centre de stage pour fonder la décision du jury.

Le Conseil d’État a « sauvé » la procédure qui était cependant entachée d’une erreur de droit relative à la possibilité pour le jury de statuer sur un vice de procédure affectant ses délibérations. Sur ce point le jury s’est déclaré incompétent, alors qu’il lui appartenait de statuer.

Une erreur de droit de la part du jury de sélection de l’ENM on en conviendra, ça peut laisser toutefois perplexe…