Communication du syndicat CFDT-Magistrats du 10 juin 2022

La Direction des services judiciaires (DSJ) vient de communiquer sur les conditions d’utilisation par les juridictions du service de communication de crise dénommé « Marché Crisalide » (du nom de l’agence de communication titulaire du marché public). La terminologie employée laisse supposer une éclosion prochaine d’un nouveau cadre médiatique. Reste à voir si celui-ci sera utile au corps judiciaire, ou si le « battement d’aile » de « Crisalide » à Paris sera de nature à engendrer un ouragan (médiatique) dans les juridictions éloignées.

Le dispositif principal : assurer une assistance à la communication de crise en cas d’une « crise à portée nationale ».

Concrètement, on peut supposer qu’un tel dispositif ne sera pas réellement utile pour les « grands parquets » (dont certains membres sont en général spécialement formés à la communication) et les parquets spécialisés (antiterroriste, financier) qui ont été spécialement crées pour avoir une compétence nationale. Ils sont cependant spécialement mentionnés dans les conditions de mise en œuvre.

De manière plus intéressante le dispositif pourra être utilisé « en cas d’incident majeur ayant eu lieu sur une emprise judiciaire, en cas d’agression commise à l’encontre d’un personnel du ministère de la justice, ou de la mise en cause d’un magistrat concernant un acte juridictionnel. ». Mais dans un cas comme dans l’autre la juridiction devra se rapprocher au préalable de la Cour d’appel.

Le marché ne couvre pas « la communication courante avant poursuite ». La durée de l’intervention est prévue pour une durée de 72 heures, pouvant être prolongée, moyennant finances. Le coût desdites prestations n’a pas été précisée dans la communication du ministère de la justice. Par le passé le coût évoqué a été de 500 000 €, information que nous n’avons pas encore été en mesure de vérifier.

Amélioration, déqualification, ou centralisation  ?

On ne peut pas critiquer intégralement l’action de l’administration dès lors que celle-ci affirme aussi vouloir concourir à une meilleure protection médiatique de ses personnels. Il conviendra cependant de voir ce qui sera mis en place dans ce domaine.

En revanche, au-delà de la mise en place de ce dispositif, trois questions majeures se posent :

1) Pourquoi des juristes hautement qualifiés, sélectionnés sur la base d’un concours très difficile, et pour les chefs de juridiction, faisant l’objet d’un parcours spécialement étudié par le CSM (notamment par la formation spécifique du « CADEJ ») ne seraient-ils pas en mesure de communiquer sur les procédures dont ils ont la charge ? Si par le passé, les prestations audiovisuelles des magistrats ont pu être médiocres, ce temps semble aujourd’hui largement révolu.

Est-il plus difficile de qualifier une infraction complexe, de requérir aux assises ou d’en parler ? L’enseignement de la pratique des médias à l’ENM a d’ores et déjà permis à la communication des magistrats de s’adapter à un large public. Pourquoi ne pas avoir fait le choix d’une formation plus étendue par l’ENM plutôt que de privatiser cette forme de communication ?

2) : Dans quelle mesure les informations sur les procédures en cours ont-elles vocation à être partagées avec des acteurs privés qui ne sont pas soumis au respect du serment des magistrats ni au respect du secret de l’instruction ? La question est d’importance car les magistrats ne peuvent en aucun cas être relevés de leur serment. Qui assurera donc la transmission des informations, lesquelles et comment ?

3) : Jusqu’à quel point l’administration centrale sera-t-elle en mesure d’être associée à la politique de communication ainsi développée ?

Au-delà de cette problématique conjoncturelle, de vraies questions structurelles subsistent

Depuis de nombreuses années, l’administration de l’autorité judiciaire est fondée sur une logique d’externalisation et de délégation. La délégation de la communication, tout comme l’intervention de cabinets de gestion et d’audit extérieurs en sont une manifestation patente et constante.

La seule exception notable aura été le fait de confier « l’open data » des décisions judiciaires à la Cour de cassation. Mais en réalité cette délégation a eu pour effet paradoxal de renforcer le rôle d’autorité administrative de la Cour de cassation et non sa fonction juridictionnelle.

Ainsi il apparaît que ce qui relève de la stratégie est confié à des agents extérieurs, et que ce qui constitue un possible vecteur de mise en cause de la responsabilité est conservé au sein du corps judiciaire.

Sous les contrats spéciaux, un défaut patent d’investissement

L’autorité judiciaire n’échappe pas à une véritable logique de marchandisation des compétences régaliennes. La problématique est très grave pour les juridictions, car ce sont les fonctions délibératives elle-même qui sont aujourd’hui présentées comme chronophages et devant être « améliorées ».

Le documentaire diffusé sur « Public Sénat » au début du mois de juin et analysant l’action des cours criminelles a d’ailleurs été suivi d’un débat au cours duquel l’ancienne Garde des sceaux, Mme Belloubet a crûment avoué que la réforme avait pour but de réduire les délais d’audiencement et de faire gagner du temps de délibéré .

Avec le contrat « Crisalide » un nouveau pallier est en passe d’être dépassé, celui de la parole publique de l’autorité judiciaire elle-même. L’avenir dira si un « effet papillon » pourrait résulter du « marché Crisalide ».En l’état, notre organisation suivra ces développements avec une grande attention.