Communication du syndicat CFDT-Magistrats du 9 juin 2022

Dans le cadre de la défense des personnels notre organisation entend rappeler l’état du droit relatif à l’engagement de la responsabilité de l’État en raison des atteintes au droit à la carrière.

Les magistrats ne sont pas totalement démunis lorsqu’ils se trouvent placés dans une situation où leur droit à la carrière se trouve obéré par l’action de l’administration.

Dans une situation de « responsabilisation » extrême, il convient de nourrir le débat de quelques éléments propres à « rétablir » un peu la balance des mises en causes.

L’État a déjà été condamné en raison d’atteintes au droit à la carrière des magistrats

Une des illustrations les plus fameuses de l’engagement de la responsabilité de l’État en raison de l’atteinte au droit à la carrière d’un magistrat a été les condamnations prononcées au bénéfice de notre collègue Daniel Stilinovic, mis en cause dans le cadre de l’affaire dite « des disparues de l’Yonne ».

Le montant total des condamnations prononcées est supérieure à 400 000 € (CE, 18 juillet 2008, n° 304962 publié au recueil Lebon, montant de l’indemnisation, 127 000 euros, puis sur d’autres fondements, CAA Nancy, 23 octobre 2018, inédit, 16NC02046, indemnisation de 283 000 euros).

Elles ont réparé l’existence de poursuites infondées et de refus d’avancement.

La responsabilité de l’État a également déjà été engagée au titre de l’application d’une sanction d’abaissement de grade annulée par la suite (CE 28 novembre 2014, 372614 mentionné aux tables).

Mais l’engagement de la responsabilité de l’État n’est pas toujours admis (CAA Versailles, 8 juillet 2020, 18VE02932, inédit). Il est par ailleurs tenu compte de l’ensemble des éléments relatifs à la situation du magistrat (CAA Douai, 21 décembre 2017, 16DA00102).

Illustrations

Le principe de la reconstitution de carrière peut sanctionner une faute de l’administration caractérisée par une absence de réponse à une demande présentée par le magistrat, (CAA Paris, 8 novembre 2019, 18 PA 00501, inédit), ou bien une faute caractérisée de l’administration (CE, 29 décembre 1993, n° 87578, inédit). Il s’agissait ici de reconstitutions qui n’étaient pas articulées sur des procédures disciplinaires annulées.

Les juridictions administratives peuvent en outre admettre également l’existence d’un préjudice moral distinct d’un préjudice strictement économique ( CAA Douai, 21décembre 2017, 16DA00102).

Il s’agissait ici de la réparation d’un préjudice moral consécutif à la non prise en considération par l’administration de la reprise des années d’ activité avant l’intégration au sein du corps judiciaire.

Dans le cadre de son pouvoir de contrôle le juge administratif vérifie les conditions dans lesquelles interviennent la suppression de rémunérations attachées à des emplois fonctionnels ( CAA Marseille, 19 avril 2016, 14MA05168  inédit et CAA Bordeaux, 27 février 2017, 15BX00711, inédit à propos d’une erreur de liquidation).

La reconstitution de carrière peut être envisagée dès lors qu’il est établi que le magistrat a été évincé de manière irrégulière, même si au final il fait l’objet d’une procédure régulière postérieure (à propos d’un auditeur de justice : CE, 25 février 2015, n° 369898 inédit). 

Suicides

L ‘Etat a déjà été condamné en raison du suicide d’un magistrat en relation avec l’activité dans le service (TA Cergy-Pontoise, 29 juin 2017, 1500649, et 1505128).

Discriminations syndicales

L’État a pu être condamné en raison de l’existence d’une discrimination liée à l’appartenance syndicale (CE, 10 janvier 2011, n° 32526 publié au recueil Lebon).

Protection fonctionnelle

L’État a pu être condamné à accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle qu’il refusait (CE, 28 décembre 2009, 317080, publié au recueil Lebon).

Angles morts

De nombreuses décisions de justice annulent des décisions de nature à porter atteinte au déroulement de la carrière (refus d’inscription au tableau, avertissements, évaluations…). Aucune décision publié n’a jamais relaté d’indemnisation des préjudices causés, exception faite de la condamnation à des frais de représentation, même lorsque le magistrat a bénéficié de plusieurs décisions favorables.

Aucun rapport du CSM, pas plus qu’aucune préconisation de la DSJ ne s’est emparé de la question des conséquences pour leur auteur du mauvais usage de ses prérogatives ;

Rappelons que dans un tel cas le magistrat qui entend voir sanctionner l’action de l’administration (y compris lorsqu’il conteste une décision du CSM ou d’un chef de cour) doit défendre son point de vue contre le Garde des sceaux.

Mettre un terme à une inégalité structurelle

Ces deux inégalités constituent des obstacles majeurs à l’établissement d’un rapport de droit clair et équitable entre les magistrats et l’État en sa qualité d’employeur.

Notre organisation est porteuse d’une revendication de renforcement du droit des magistrats sur l’ensemble de ces points . Elle en saisira l’administration prochainement.

La marche à suivre : la saisine du Tribunal administratif.

Depuis la réforme de la procédure administrative survenue en 2010 ce sont les juridictions administratives du premier degré qui sont compétentes pour examiner les demandes d’indemnisations liées à l’atteinte au droit à la carrière.

L’indemnisation des préjudices économiques consécutifs à des décisions sanctionnées par le juge administratif constituent des recours de plein contentieux.