Communication du syndicat CFDT-Magistrats, 13 septembre 2022

Alors que les conditions de travail ne s’améliorent globalement pas dans les services et qu’il manque a minima 1 500 magistrats judiciaires, le ministère de la justice a annoncé une revalorisation de « 1 000 euros en moyenne » pour les membres de notre profession.

La nouvelle a fait l’effet d’une bombe médiatique.

Mais lorsqu’on y regarde de plus près, cette (en principe) bonne nouvelle peut susciter quelques inquiétudes: qui seront les gagnants du nouveau jeu des 1 000 euros ?

L’annonce n’est pas très claire:

Les termes du communiqué ministériel sont les suivants:

«  J’ai pris la décision pour 2023 de revaloriser de façon importante votre régime indemnitaire ». (…)

Puis: « Cette augmentation de salaire permettra enfin, conformément aux propositions figurant dans le rapport relatif aux Etats généraux de la justice, d’améliorer fortement l’attractivité de ce métier et nous permettra de répondre aux besoins de recrutement que nous aurons à réaliser dans les années à venir. » (…)

Et enfin: « Il s’agit d’une hausse de 1.000 euros par mois en moyenne, une mesure inédite dans son montant et dans son périmètre. »

NOTRE ANALYSE:

En premier lieu il est possible de relever une discordance entre la volonté de mettre en place une augmentation des primes et une augmentation du salaire (terme au demeurant impropre dans la mesure où il conviendrait de parler de traitement ou de rémunération pour des agents publics).

Une « moyenne » : l’arbre qui cache la forêt ?

Quel sera l’arbitrage final entre la part des primes et celle des traitements ? Le communiqué ne le précise pas, mais selon le cas la situation des magistrats sera très différente.

Les indemnités (les primes) ne sont pas prises en compte pour le calcul des pensions . Le régime des indemnités varie selon les fonctions exercées pour les indemnités attachées à l’exercice de certaines fonctions et fixées à la suite d’une appréciation hiérarchique pour la prime modulable. Ensuite le communiqué ne précise pas selon quels critères la « moyenne » sera effectivement ventilée ,ni qui aura vocation à en profiter le plus : les jeunes collègues ? Ceux dont le positionnement hiérarchique sera le plus élevé ?

Ou bien s’orientera-t-on vers une nouvelle augmentation de la prime modulable (ce qui constituerait une perspective assez désastreuse pour les garanties d’indépendance du corps judiciaire, il faut bien le dire).

108 millions sur 8 milliards: analyse critique du « chiffre unique »

Contrairement à une idée reçue les chiffres ne « disent » rien par eux-même. Il faut les interpréter, même les chiffres concernant les rémunérations.

Si l’on prend le problème à l’envers la communication ministérielle laisse supposer que le ministère entend mobiliser une somme de (1 000 euros X 12 X 9 000 magistrats égale environ) 108 millions d’euros annuels pour mieux payer les magistrats judiciaires.

108 millions sur un budget moyen de 8 milliards en moyenne cela représente une allocation de 1,355% de la masse budgétaire (soit moins que l’inflation). L’honnêteté intellectuelle commande de dire que ce chiffre ainsi présenté, lui non plus, ne traduit pas l’effort financier « réel » car le budget de 8 milliards comprend de nombreuses dépenses contraintes (foncier, énergie, salaires etc). Il faudrait le rapporter à la masse salariale du corps judiciaire dans son entier pour calculer la progression globale. Il faudrait aussi l’apprécier au regard des économies qu’engendre l’absence des 1 500 postes de magistrats qui, selon les évaluations les plus basses seraient nécessaire au corps judiciaire pour lui permettre pour permettre d’assurer ses missions.

108 millions pourquoi faire ?

Cette augmentation de rémunération ne pourrait-elle pas être l’occasion de réfléchir à la dissociation du grade et de la fonction, revendication que porte notre organisation ?

Ne pourra-t-elle pas être le point de départ d’un système de rémunération, plus juste, plus transparent et mieux à même de garantir l’indépendance réelle des membres du corps judiciaire ? Qui seront les vrais gagnants du jeu des 1 000 euros ?

Et les états généraux dans tout ça ?

Lier l’annonce de cette augmentation des rémunérations à l’occasion de la discussion consécutives à la réunion des « Etats généraux » peut enfin laisser perplexe sur les suites qui seront globalement données à ces travaux. Pour paraphraser Raymond Devos ici aussi, « le doute plane ».

Prenez ce qu’on vous donne, et réclamez le reste !Selon un proverbe bien connu, pour bien négocier il faut prendre ce qu’on vous donne et réclamer le reste. Notre organisation soutient que dans les circonstances présentes, la magistrature judiciaire devrait collectivement s’en inspirer…