Notre communication mensuelle écartera volontairement tout commentaire relatif à la délibération et au fond du procès qui s’est tenu devant la Cour de justice de la République. Quel que soit le sens du délibéré, il conviendra d’en prendre connaissance « à froid » et d’analyser les termes du jugement, ce que nous nous refusons à faire en quelques heures. Car ce procès présente bien entendu un caractère extraordinaire ne serait-ce qu’en raison des nombreux paradoxes positionnels qui ont été mis en lumière à son occasion. Ainsi en est-il des relations du cabinet du ministre avec l’administration centrale, des relations des administrations centrales avec le CSM statuant au disciplinaire, sans parler bien entendu du rôle et de la place de l’inspection. Nous y reviendrons plus tard. Toujours est-il qu’une chose est apparue à l’occasion de cette instance, mais aussi à l’occasion de la décision du Conseil constitutionnel relative au statut de la magistrature : l’importance de l’audience dans le cadre d’un processus démocratique de contrôle de l’activité juridictionnelle. L’audience « moment suprême » du processus juridictionnel ? Il convient d’y réfléchir.

La CJR et l’importance de l’audience « physique » accessible au public

L’organisation du procès du ministre de la justice devant la CJR aura été l’occasion de démontrer à quel point une audience publique présente de vertus dans une société démocratique. Quoi qu’on pense des faits reprochés au ministre, de la loi applicable, des prises de parole des différents acteurs, à travers les comptes rendus publiés dans la presse spécialisée et dans la presse généraliste, les spécificités de la juridiction et des enjeux ont été largement analysées. Ces vertus ont pu se manifester car il a été garanti pour cette instance un autre élément indispensable à tout procès digne : du temps, autrement dit des moyens pour réfléchir à ce que la juridiction peut produire.

Et dans un pays qui a inscrit « l’égalité » au centre de sa devise il est bien dommage que cette « égalité » d’accès à un tribunal qui a du temps pour réfléchir ne soit pas aussi garantie dans toutes les procédures dont les juridictions sont saisies.

Le Conseil constitutionnel encadre les « audiences à distance ».

L’audience, grande perdante des réformes qui se sont succédé pour «rationaliser » le fonctionnement de la justice est-elle en train de renaître de ses cendres à travers les dernières décisions du Conseil constitutionnel (2023-855 et 2023-856 DC) ? Il est trop tôt pour le dire. Les décisions du Conseil ont cependant limité les possibilités de recours à des « audiences à distance » aux cas les plus exceptionnels. Elles n’autorisent pas « automatiquement » les possibilités de recours à la vidéocomparution dès lors que la composition d’une juridiction dans un ressort ultramarin ou en Corse ne peut être assurée. Elles posent donc les bases d’un contrôle effectif du recours à la vidéocomparution là où, jusqu’à présent, la question n’était pas réellement posée.

Le Conseil constitutionnel recadre la « participation au délibéré » des attachés de justice

Le Conseil constitutionnel a précisé qu’un attaché de justice ne « participe » pas au délibéré avec les magistrats. Il ne fait que les assister. Ainsi après avoir rappelé que l’audience était un moment essentiel, le Conseil a affirmé que le pouvoir de délibérer était au cœur du processus juridictionnel et que seul un magistrat formé et protégé par son statut pouvait y participer.

La Cour des comptes demande une « doctrine d’emploi » des « sucres rapides »

La question de la possibilité de voir d’autres agents que des magistrats participer à un délibéré est d’autant plus importante que la Cour des comptes dans un « audit-flash » publié au début du mois de novembre a donné un satisfecit à la politique de recrutement des personnels qualifiés « sucres rapides » par le ministre de la Justice. Cette appréciation constitue un encouragement à la poursuite de la politique visant à créer une « équipe juridictionnelle ». La décision du Conseil constitutionnel pourra être une véritable limite à la volonté de faire en sorte que le magistrat ne soit pas le capitaine de telles « équipes ».

La Cour a aussi insisté sur la nécessité de voir établir une « doctrine d’emploi » de ces personnels supplémentaires. Il s’agit là d’un véritable enjeu si l’on ne veut pas que l’allocation de ces moyens ne dérive en « moyen de pression » local au bénéfice des autorités qui alloueront ces « sucres rapides », ou de l’administration centrale sur les juridictions (comme cela a été le cas avec le contrôle budgétaire induit par la « Lolf » et les lois de finances budgétaires).

La loi organique et l’occasion manquée de réformer l’audience disciplinaire devant le CSM

Mais si le Conseil constitutionnel a empêché le pire consistant à plier l’activité juridictionnelle aux contraintes gestionnaires, il en a validé de nombreuses autres : l’augmentation du pourcentage des magistrats placés, l’intégration à la loi organique des possibilités de délégation par les chefs de cour prévues par le Code de l’organisation judiciaire… S’agissant de l’article 9 relatif à la nouvelle définition beaucoup plus large de la faute disciplinaire le Conseil n’a vu aucune contrariété avec la Constitution.

Il y a pourtant un réel paradoxe à voir élargir les possibilités d’incrimination disciplinaire alors que la procédure disciplinaire reste parfaitement déséquilibrée au détriment des magistrats.

Si « l’audience » est un élément démocratique fondamental, l’équilibre de la procédure, même disciplinaire, ne l’est pas moins et nous ne pouvons qu’être déçus de voir que le respect des principes fondamentaux en la matière reste une fois de plus dénié aux magistrats judiciaires.

La condition des magistrats : de vieilles recettes dans de vieilles casseroles

En fait, si l’on rapproche la question de l’évolution des termes du serment et de la liberté d’expression des magistrats, des possibilités d’assurer la continuité des services quel que soit l’état réel des effectifs, et de l’augmentation du taux de prime modulable promulguée au mois d’août, le risque de voir transformer l’allocation de moyens supplémentaires en autant de moyens de pressions est réel. On constater alors que la politique de gestion du corps judiciaire que l’on nous présente comme si « disruptive » n’est rien d’autre que la poursuite de projets portés au début des années 2000 sous la présidence de Jacques Chirac : contrôle financier tatillon des moyens et des rémunérations et fragilisation des garanties professionnelles sont toujours au programme ; la diffusion d’internet, le passage à l’euro, la réforme de la Constitution et les innombrables évènements historiques survenus depuis plus de 20 ans n’ont en rien modifié le logiciel qui veut faire prévaloir le contrôle de la magistrature sur l’indépendance de la justice.

Notre position : défendre le pouvoir juridictionnel comme fondement démocratique

Notre organisation soutient que défendre le pouvoir juridictionnel ce n’est pas porter atteinte à la démocratie mais contribuer à la servir. Elle défendra toutes les dimensions de la capacité des magistrats à répondre aux besoins des justiciables en contestant les décisions administratives qui leur portent atteinte, en sensibilisant les responsables publics à ces problématiques et en intervenant dans le débat public .