Changement du lieu d’implantation des juridictions : 8 ans par mesure d’administration judiciaire

Le 7 mars 2024 le Comité social d’action ministériel a examiné un décret visant à la modification de l’article R 121-4 du COJ.

Le projet de texte vise à permettre de modifier le siège d’une juridiction pendant une période de huit ans, par ordonnance du premier président après avis du procureur général. Vous avez bien lu : 8 ans, sans le moindre contrôle une telle ordonnance relevant des « mesures d’administration judiciaire » qui ne peuvent être contestées ni devant les juridictions judiciaires, ni devant les juridictions administratives.

Les représentants CFDT ont soutenu que ces dispositions étaient susceptibles de porter atteinte durablement à la qualité de vie des agents mais aussi aux textes qui garantissent l’inamovibilité des magistrats du siège et qui sont d’un rang bien plus élevé dans la hiérarchie des normes. Ces 8 ans pourront par ailleurs faire l’objet d’une prolongation par arrêté du garde des Sceaux ( !). Aucun document versé au CSA ne permet d’apprécier l’utilité d’une telle disposition.

Il n’est dressé aucun bilan des dispositions existantes ni aucun exposé des motifs précis de sorte qu’il est impossible d’apprécier ce qui motive effectivement une telle évolution.

La modification de l’article R 121-4 du Coj tel que proposée renforce considérablement les pouvoirs de l’administration pour modifier les conditions d’accueil des justiciables et les conditions de travail des personnels sans pourvoir à des garanties nouvelles et adaptées pour l’exercice de ces prérogatives.

Une fois encore nous assistons à l’édiction de nouvelles dispositions qui renforcent les pouvoirs coercitifs donnés à l’administration pour assurer la continuité des services au détriment du droit des personnels !

CE, 16 févier 2024, 467367, mentionné aux tables : le Conseil d’Etat rappelle la faiblesse des garanties statutaires offertes aux magistrats du siège.

Le 16 février 2024 le Conseil d’Etat a rendu un arrêt rejetant un pourvoi déposé par un collègue contre une décision disciplinaire » du CSM « siège » du 7 juillet 2022. Il est impossible de prendre connaissance des griefs allégués contre le collègue au titre de la décision, celle-ci n’ayant pas été mise en ligne par le Conseil.

L’arrêt du Conseil d’Etat doit donc être pris avec beaucoup de prudence.

Un passage mérite cependant d’être souligné.

Le CSM est une « JAS », une juridiction disciplinaire spécialisée lorsqu’il statue à l’encontre des magistrats du siège (et un simple conseil lorsqu’il statue contre un magistrat du ministère public). Il n’existe aucune voie de recours ouverte contre les décisions de cette « JAS » si ce n’est le droit à un pourvoi en cassation (alors qu’un recours pour excès de pouvoir peut être intenté contre une décision disciplinaire du ministre).

La conséquence de cette absence de voie de recours fait que le magistrat doit présenter son pourvoi en fonction des cas d’ouverture du pourvoi, qui sont limités à 2 cas d’ouverture utiles (la question de l’incompétence étant exclue) :

La violation des règles de forme et de procédure

La violation de la règle de droit (erreur de droit et erreur de fait).

De cela il convient de déduire que le Conseil d’Etat ne sanctionne que les abus disciplinaires les plus criants.

Mais encore faut-il que le moyen ait été dans le débat !

Pour écarter un moyen allégué par le magistrat visant à caractériser l’existence d’une discrimination le concernant le Conseil d’Etat relève que le moyen est nouveau en cassation et donc inopérant.

Autrement dit, non seulement les cas d’ouverture sont limités, mais en plus il convient de mettre tous les moyens de droit dans le débat devant le CSM sous peine de perdre un moyen de cassation.

Le pouvoir exécutif, autorité de saisine du CSM (et d’inspection du corps judiciaire) peut donc dormir sur ses deux oreilles : ce n’est pas demain que la haute juridiction administrative constituera une voie de recours de plein exercice contre les décisions disciplinaires du CSM lorsqu’il examine les griefs allégués contre un magistrat du siège.