Un projet de réforme des textes incriminant le viol et les agressions sexuelles est en cours de dépôt au Parlement. Au-delà des débats en cours, notre organisation soutient que la procédure mise en œuvre pour améliorer la répression et la prévention de ce type de faits qui crée d’incontestables ravages est très révélatrice d’un imaginaire typiquement français que l’on appelle la « nomophilie » (qui n’est pas au sens strict une perversion sexuelle, mais la conception politique selon laquelle il n’est de droit que par la loi).

Ce ne serait pas si grave, si la loi était claire et si en matière de répression du viol comme pour beaucoup d’autres choses la réforme de la loi ne constituait en France le lieu d’achèvement d’une politique, alors que dans la plupart des autres Etats d’Europe elle n’ en est que le commencement.

Euro-crime ou Franco-crime ?

Précisons tout d’abord pour éviter toute ambiguïté que la présente publication n’est pas irriguée par les aigreurs d’estomacs de mâles blancs de plus de 50 ans qui pensent que le monde se portait bien mieux avant l’invention de l’éthylotest.

Si certains d’entre nous sont effectivement bien amortis du point de vue de l’âge, notre organisation qui elle n’a que 4 ans, et qui propose de nouvelles pistes de réflexion sur l’exercice des fonctions juridictionnelles soutient que la prise en charge des infractions sexuelles quelles que soient l’âge, la condition, l’origine, des victimes et des auteurs est une question essentielle dans une démocratie, elle est même un révélateur de l’état d’une civilisation.

On se souvient que la définition légale du viol a fait l’objet dès le mois de novembre dernier d’une controverse sur le champ d’intervention des directives de l’Union européenne. Le Président de la République et avec lui la représentation de la France auprès de l’Union ont contesté la possibilité pour les instances de l’Union de proposer une directive en la matière. Il s’agit là d’un débat juridique actuellement tranché par l’acceptation de cette analyse. Quoi qu’on en pense au fond, la réponse sur ce point est claire :le débat sur un tel sujet relève des compétences des parlements nationaux.

C’est donc bien à l’Assemblée nationale et au Sénat que le débat doit être conduit désormais.

Les débats autour de la définition du viol

En la matière les informations se télescopent. L’Assemblée nationale a été saisie d’une proposition de loi en la matière par le groupe parlementaire « La France Insoumise » au mois de février 2024, qui fait elle-même suite à d’autres propositions plus anciennes, dont une déposée au mois de novembre 2022, et une autre au mois de novembre 2023.

Par ailleurs, une mission parlementaire a été institué sur le sujet sous la présidence de la députée Riotton au mois de décembre 2023.

La question dont doivent débattre les parlementaires est celle des éléments caractérisant l’infraction ; elle vise notamment celle de l’appréciation du consentement par l’auteur présumé d’un fait de viol ou d’agression sexuelle.

Mais c’est là qu’à notre sens, la question dérape.

Car en l’espèce le débat législatif devrait suivre un débat politique sur la question de la répression des agressions sexuelles et non le précéder.

Traiter en premier lieu de la législation revient à envisager la question sur le terrain des valeurs, alors qu’il s’agit d’abord d’une question pratique.

Ce qui permet de lutter efficacement contre les infractions sexuelles c’est avant tout la combinaison de plusieurs outils et de plusieurs dimensions de déploiement de ces outils : des outils juridiques, bien entendu, mais aussi des moyens spécifiques dédiés à l’éducation, à la formation des acteurs des prises en charge et à l’accompagnement des victimes et de prise en charge des auteurs, y compris dans un parcours psychologique ou médical. Cela revient à conduire une réflexion sur les missions de l’Etat envers la population et dans ses relations avec les acteurs de la société civile pour permettre de faire évoluer les mœurs.

Penser la loi pour ce qu’elle est , et pas pour ce qu’elle devrait être

La loi, c’est son essence même, est incomplète par nature. Cela résulte de son caractère général. Ce qui fait qu’elle est appliquée telle qu’elle a été conçue c’est que globalement la population y adhère. C’ est qu’il existe un consensus social sur les termes qu’elle recouvre et les objectifs qu’elle poursuit.

Ramener un débat politique fondamental à un débat sur l’ évolution d’une norme législative c’est faire passer l’accessoire pour l’essentiel.

Le processus législatif français tel qu’il se déroule actuellement polarise et politise des questions qui ne mériteraient pas de l’être de manière aussi essentielle.

Il existe bien entendu des études d’impact relatives à l’application d’une loi nouvelle. Mais en l’espèce, s’agissant d’une mission d’information et de propositions de lois, de tels documents n’existent pas.

Existeraient-ils, comment évaluer l’impact d’une modification législative tenant lieu à l’incrimination des faits de viol et d’agression sexuelle ?

Si l’on veut agir rationnellement ce type de modification ne peut pas être apprécié sans une conceptualisation très fine de ce qu’elle induit. Mais les débats sur de tels sujets soulèvent rapidement des passions politiques qui rendent toute approche rationnelle difficile.

Prévention des infractions sexuelles et volonté politique : le contre-exemple de la CIIVISE

Les travaux de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants( CIIVISE), ont montré à quel point le soutien politique d’une action qui entendait préconiser un changement global d’approche des problématiques relatives à l’inceste pouvait trouver rapidement sa limite. Si cet organisme, provisoire à l’origine, a finalement été pérennisé, ses membres initiaux ont été immédiatement remplacés après le dépôt du rapport de la Commission le 20 novembre 2023.

Le message est en un sens le suivant : Il ne suffit pas de faire émerger un problème et de l’examiner sous tous ses aspects pendant trois ans en lui donnant la dimension d’une grande cause nationale. Encore faut-il être « politico-compatible » pour être légitime à en poursuivre la résolution (quoi qu’on pense par ailleurs des travaux entrepris, bien entendu). Ce qui n’apparaît pas moins problématique que de soutenir la nécessité d’une réforme sur la définition du viol sans s’interroger sur l’application possible d’une telle évolution.

La réforme de l’état du droit suffira-t-elle à changer l’état des faits ?

Des réformes chacun d’entre nous en a vu passer son lot. Certaines ont produit des effets, au moins dans l’approche globale qu’il convenait d’ envisager face à certains comportements criminels.

Mais comment croire en pleine suppression de l’indépendance de la police judiciaire qu’une « meilleure » loi sera mieux appliquée en l’absence d’enquêteurs dédiés  pour ne prendre que cet exemple ?

Le simple fait qu’il existe désormais un pôle spécialisé dans les affaires non résolues démontre qu’il est devenu nécessaire d’institutionnaliser le traitement des procédures sans solutions. Il ne s’agit pas bien entendu d’une critique de cette structure et de ceux qui y oeuvrent et qui font un travail remarquable, mais de rappeler que si un certain nombre de pistes ou d’investigations ont été infructueuses c’est aussi parfois parce que les enquêteurs ne pouvaient pas en leur temps disposer du temps et des moyens nécessaires à leur élucidation.

Concrètement que faudrait-il faire ?

Dans l’intérêt des justiciables et de l’application de la loi notre organisation soutient la nécessité de dépolitiser le traitement des contentieux pénaux. La mise en place d’une mission parlementaire est sur ce point parfaitement légitime et utile. Mais elle ne devrait pas envisager la définition juridique du viol sans s’interroger au préalable sur ce qui, selon les termes du débat tel qu’il est conduit, justifie un taux de réponse pénal présenté comme aussi faible.

Il y a réellement peu de chances que ce soient les termes de la loi qui soient à l’origine d’une absence de réponse pénale car ni les victimes ni les auteurs n’en connaissent concrètement dans la vie ordinaire.

Plus que les termes de la loi c’est bien plus vraisemblablement l’absence de possibilité de réponse adaptée des services de l’Etat qui est en cause. A force de fermeture de commissariats, d’éloignement des services publics et des hôpitaux, d’implantation de vidéosurveillance comme premier moyen de sécuriser un territoire et de développement effréné des faits liés au trafic de stupéfiants, la répression des infractions sexuelles n’est devenue qu’un problème parmi d’autres et pas nécessairement le plus important.

S’il y a bien un point sur lequel les travaux de la CIIVISE ont été éclairants c’est sur le fait que les acteurs du corps social ne peuvent utilement traiter que ce qu’on les a éduqués à voir.

Il n’y a pas d’évolution des prises en charge sans une sensibilisation globale des acteurs de terrain. Selon notre analyse, le véritable enjeu d’une action politique devrait donc en premier être celui-là. Le parlement en France, ça sert aussi à contrôler l’action du gouvernement pour s’assurer de l’application de la loi.