COMMUNICATION DU MINISTÈRE : 500 000 euros pour parler du travail, mais pas de budget pour le faire ?

Communication du syndicat CFDT-Magistrats, 11 février 2022

Si l’on en croit un article paru dans « la Lettre A », le 9 février 2022 le ministère de la Justice aurait les plus grandes difficultés à assurer la conclusion d’un marché public relatif à la « communication de crise » du ministère de la justice.

Coût prévisionnel de la prestation: 500 000 euros.

Pendant ce temps-là les juridictions sont obligées de compter jusqu’au moindre centime pour élaborer leur budget et l’exécuter.

Pour notre organisation, un tel « sens des priorités » est malheureusement très révélatrice de la manière dont le travail juridictionnel est conceptualisé et apprécié par un certain nombre de responsables publics.

Un marché qui n’a pas marché ?

Selon « la Lettre A », un premier marché aurait fait l’objet d’un premier appel d’offres au mois de juillet 2021 avec soumission au mois d’août 2021. Mais le délai était trop court et n’a pas permis de conclure à cette date. 

Un nouvel appel d’offre aurait donc été établi mais les clauses en auraient été incomplètes (il n’aurait par exemple pas prévu l’audition des soumissionnaires). 

En l’état, la possibilité de voir établir une prestation claire en réponse à ce cahier des charges resterait hypothétique.

La question de la rémunération du travail juridictionnel

Plusieurs choses étonnent, et pour tout dire, navrent dans le choix fait par le ministère de la justice.

Tout d’abord, c’est la disproportion manifeste que représente le coût du scrutin (500 000 euros) et la rémunération du travail juridictionnel.

Il y a quelques années « l’enveloppe » globale allouée à la rémunération des astreintes pour l’ensemble du corps judiciaire a été fixée à 500 000 euros.

Parler du travail en cas de crise peut donc être  aussi rémunérateur que de l’exécuter.

La question de la qualification des magistrats

La deuxième chose qui interroge profondément est la suivante :

Les magistrats de l’ordre judiciaire sont sélectionnés de manière très exigeante , qu’il s’agisse des concours ou des différentes voies d’intégration.

Ils passent leur temps à traiter de procédures complexes, de problèmes humains très particuliers dans des conditions difficiles.

Ils ne sont pas tous, bien entendus, aptes à toutes les fonctions, mais la communication de crise ne relève pas de la physique quantique ou de la biologie moléculaire.

Elle ne requiert pas de facultés de discernement à ce point hors norme qu’elle ne serait pas accessible à un magistrat normalement constitué et formé à ces usages.

Au sein d’un corps de 9 000 agents, il y en a nécessairement qui sont susceptibles de présenter les qualités requises pour communiquer.

C’est tellement vrai que des magistrats ont déjà été appelés à assurer le porte-parolat du ministère.

Et ils ne seraient pas à même d’assurer une communication de crise sur des affaires sensibles s’ils étaient formés pour cela ?

En toute objectivité, on peine à le croire.

La question des « ressources humaines » du ministère de la justice

A supposer qu’il ne se trouve pas un magistrat pour prendre la parole dans ces circonstances, ce qui laisse perplexe, le ministère de la justice compte de nombreux agents hautement qualifiés qui seraient parfaitement capables théoriquement de faire face à ces difficultés. 

Comment imaginer qu’en « interne » il ne se trouve personne pour relever le gant ?

L’externalisation de la communication un « PPP » de plus ?

La Cour des comptes a dès 2017 rendu un rapport stigmatisant les « coûts supplémentaires » induits par le recours à des « Partenariats Public Privé » (PPP) ; pourquoi dès lors prendre le risque de dépenser de l’argent public de cette manière ?

Pourquoi une nouvelle fois confier à des intérêts privés la prise en charge de l’intérêt général ?

L’externalisation et la question du contrôle des personnels

Le choix du ministère de la justice apparaît comme éminemment politique au sens péjoratif du terme.

Tout laisse supposer que les personnes qui seront recrutées seront en réalité attachés au service du ministre pour « déminer » un certain nombre d’informations jugées comme politiquement sensibles ou gênantes.

On voit mal en effet ce qu’un ministre aurait à dire après un fait divers sordide. En revanche, il est possible d’imaginer à quoi servirait une équipe de communicants directement mobilisables lorsqu’un membre du gouvernement, ou un proche d’un pouvoir constitué serait appelé à comparaître devant une juridiction judiciaire.

Même si le projet n’est pas celui-là, comment, dans ces circonstances prouver la « plus-value » de cette forme de dépense publique ?

Comment faire admettre que dans un système où chaque euro est compté et décompté, un demi-million d’euros par an puisse être mobilisé de la sorte ?

Notre organisation réprouve une telle utilisation de l’argent public et mettra en œuvre toutes les voies de droit pour la critiquer.

Pour défendre vos droits et faire vivre le pluralisme syndical rejoignez CFDT-Magistrats .

Pour tout contact : Emmanuel POINAS conseiller à la cour d’appel d’Aix en Provence, délégué général, 06 84 84 30 07cfdt-magistrats@interco.cfdt.fr ,