RAPPORT DE LA COUR DES COMPTES CONTRIBUTION DU CSM AUX ETATS GÉNÉRAUX :

L’avenir des cours d’appels 

en question ?

Communication du syndicat CFDT-Magistrats, 18 février 2022

Il y a cinq ans, le programme électoral d’Emmanuel Macron prévoyait une réforme de l’implantation des cours d’appels judiciaires en vue de faire coïncider la carte juridictionnelle et la carte administrative.

Dans quelques semaines, la question, en germe dans les analyses d’autres représentants politiques risque de revenir à l’ordre du jour.

Par ailleurs, la Cour des comptes dans une note rendue publique au mois d’octobre 2021 (Améliorer la gestion du service public de la justice) a repris la nécessité de prévoir une nouvelle organisation.

Les heures des « petites » cours d’appels sont-elles comptées ?

La question est désormais incontournable. Et l’enjeu d’un tel projet sera moins de « faire la réforme », que de « bien faire la réforme » ce qui nécessitera un processus de concertation et de prise en compte des besoins des agents et des territoires.

Une carte judiciaire incohérente, ou une justice paupérisée ?

La note de la Cour des comptes a le mérite de la clarté. Il ne s’agit pas de savoir s’il convient de réformer la carte des cours d’appel, mais de le faire car « la réforme a été trop longtemps reportée ».

Le prochain gouvernement pourra donc à coup sûr s’appuyer sur cette analyse pour mettre en mouvement cette décision politique.

L’argumentation développée par la Cour des comptes ne manque pas d’audace :

L’implantation des cours d’appel n’est pas performante car celle-ci sont… trop proches du terrain ! La faiblesse de leur ressort caractériserait ainsi un « périmètre trop étroit » contribuant à « isoler les juridictions » (p 11 et 13 du rapport).

La Cour insiste ensuite sur le fait que ces structures sont « trop petites » (ce qui est en fait une autre idée). Et la Cour d’indiquer après avoir évoqué la situation des cours d’appels de Paris et Aix-en-Provence que « 10 autres comptent moins de 10 magistrats » (ce qui , énoncé sous cette forme, est parfaitement faux).

La Cour indique que la faiblesse des implantations territoriales entraînerait une incapacité à mettre en œuvre des budgets locaux efficaces.

Mais selon notre analyse, ici encore la Cour confond deux notions différentes : ce n’est pas parce qu’elles sont trop petites que les « petites » cours n’ont pas de marge de manœuvre, mais, parce que , globalement, la délégation des budgets qui leur est alloué ne leur permet pas de payer d’autres dépenses que les dépenses strictement obligatoires.

Ce mal n’est au demeurant pas propre aux « petites » cours. Il y a quelques années un premier président d’une cour « moyenne » a déclaré que gérer un budget c’était déterminer quelle créance ne serait pas payée en priorité.

Et la Cour des comptes de dire qu’il convient de faire coïncider au maximum la carte administrative générale et la carte judiciaire en déployant trois scénarios aussi peu explicites les uns que les autres en pratique et sans tenir compte non plus des spécificités induites par la présence de magistrats inamovibles dans ces juridictions.

Une expression idéologique parée d’une apparente rationalité

On ne peut qu’être navré de voir la Cour des comptes publier dans une note de prospective des informations inexactes.

Il s’agit là d’un manque de rigueur qui suffit à déconsidérer l’articulation du propos.

Mais au-delà la note de prospective est intéressante car elle est révélatrice d’un certain état d’esprit. Celui-là même qui a justifié la première réforme de la carte judiciaire sous la mandature de Nicolas Sarkozy, puis la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance au cours du quinquennat qui est en train de s’achever.

En matière d’implantation judiciaire, un grand nombre d’implantations territoriales n’est pas nécessairement conforme à l’efficacité de l’action de la justice.

Si c’est vrai marginalement, si l’on change d’échelle, le raisonnement a tout d’un sophisme.

Ce n’est pas la faiblesse locale des effectifs qui rend les structures « inefficaces » : c’est la faiblesse nationale des effectifs et plus globalement des moyens alloués aux juridictions pour fonctionner qui en est la cause.

Si les cours d’appels étaient en situation d’être normalement dotées la question de leurs fusions ou de leurs dysfonctionnements ne se poserait pas dans les mêmes termes.

Il est par ailleurs bien hypocrite de dire que les petites cours n’ont pas de contentieux spécifiques par rapports aux plus grandes, après avoir concentré les contentieux complexes dans les ressorts de ces dernières.

La proposition du CSM

Le CSM dans sa contribution aux « états généraux de la justice » a proposé de suivre une analyse proche de la Cour des comptes, avec une subtilité : aucun site ne serait clairement fermé, mais il y aurait des « chambres détachées » dans les cours d’appels dont les sites ne seraient pas maintenues.

Pour une institution qui a entrepris de « redonner du sens » au travail du juge, fournir un étayage moral à une nouvelle phase de concentration des services présente un aspect paradoxal.

Petite mise en perspective historique…

Le réseau actuel des cours d’appels s’appuie sur un maillage hérité d’abord des Parlements d’Ancien régime, puis de décisions prises par Bonaparte. Ce personnage politique, quoi qu’on pense de son action, avait un sens aigu du contrôle territorial. L’implantation des cours d’appels n’avait rien de fortuit : la proximité créée à l’époque était un moyen d’assurer la mise en œuvre de sa politique. L’implantation des cours d’appels n’est pas une lubie de juges, mais une décision d’organisation de l’État et de l’application de la loi.

Si l’on excepte le cas de la Guyane, les dernières créations de cours d’appels remontent aux années 1970. Il s’agit des cours de Reims (1968), et Versailles (1975!).

Petite mise en perspective géographique…

3 régions françaises ont une superficie supérieure à 70 000 km²  (Nouvelle Aquitaine, Occitanie et Auvergne Rhône Alpes). Pour rappel la Belgique (30 000 km²) compte 5 cours d’appels. Les Pays-Bas, en comptent 4 pour 42 000 km² l’Allemagne 24 (pour 357 000 km²), l’Espagne en compte une par province (50, pour 505 000 km²), et l’Italie (301 000 km²) en compte 26.

En admettant une moyenne d’une cour par région sauf en Ile de France, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et Nouvelle Aquitaine ou le CSM préconise d’en avoir plusieurs il serait possible d’envisager  17 à 20 cours (avec un peu de bonne volonté) distribuées sur un territoire de  540 000 km². Cela représente  une fois encore  un standard bien en-deçà des normes européennes pour des états continentaux comparables. En effet, cela ramène chaque cour française à 27 000 km² en moyenne, soit le double de la taille du standard européen moyen (de 8 000 à 12 000 km²). 

Quel avenir pour le statut des agents placés

L’organisation judiciaire actuelle admet des agents placés (magistrats et fonctionnaires) ainsi que des possibilités de délégations (prévues par le Code de l’organisation judiciaire) au sein de chaque cour d’appel pour une durée limitée dans le temps, mais significative (5 mois par an).

L’augmentation de la taille des cours d’appels nécessitera un réaménagement préalable de ces dispositions. A défaut il ne restera pas grand-chose du principe de l’inamovibilité des magistrats du siège, et du principe d’affectation des fonctionnaires dans un ressort déterminé.

Faut-il supprimer la Cour d’appel de Versailles ?

Si l’on suit le projet de voir faire coïncider la carte administrative et la carte judiciaire, il faudra supprimer en premier lieu la cour d’appel de Versailles, la dernière arrivée dans le paysage judiciaire métropolitain.

On voit bien à travers ce seul exemple ce que le raisonnement porte en germe d’absurdité : la question n’est pas celle de la cohérence des cartes, mais celle de l’adaptation des besoins aux populations.

Si l’on suit le raisonnement, dans la deuxième région en terme de population les cours de Riom, Chambéry, Grenoble et Nîmes subiront le même sort pour ne laisser subsister que la cour d’appel de Lyon.

Il conviendra ensuite de décliner dans les autres régions.

Une telle perspective est bien entendu parfaitement insoutenable sur le plan financier au prix du mètre carré dans des métropoles, même en province.

Du point de vue de l’aménagement du territoire c’est tout aussi irréaliste : la Nouvelle-Aquitaine, ou Auvergne-Rhône-Alpes ont la taille d’états européens (l’Irlande, l’Autriche, sans parler du Benelux…) et ces pays comptent plusieurs cours d’appels pour des territoires équivalents.

Il faudra facilement 5 ou 6 heures de voiture pour rejoindre le siège de la cour depuis un point éloigné.

Et les conséquences sur la gestion des personnels seront considérables.

Comment admettre la présence de magistrats et de fonctionnaires placés sur un territoire qui couvre 70 000 ou 85 000 km² ?

Comment admettre une possibilité de délégation interne à la Cour d’un tribunal judiciaire à l’autre, comme l’autorise actuellement le Code de l’organisation judiciaire pour des ressorts de cette taille ?

A cela il sera sans doute répondu qu’il sera possible de créer des chambres détachées dans les locaux des anciennes cours d’appels.

Mais alors, si elles sont en réalité nécessaires, pourquoi les supprimer  ?

Une idéologie de la concentration sans concertation…

En fait l’idée qui sous-tend l’analyse de la Cour des comptes n’est pas que purement budgétaire. Elle est aussi totalement détachée d’une évaluation sérieuse des réformes déjà conduites en mettant en œuvre les mêmes méthodes.

Dans son rapport de 2017 relatif à l’immobilier au ministère de la justice la Cour des comptes soutenait qu’en fermant près de 314 tribunaux la première réforme de la carte judiciaire avait eu des effets positifs.

Mais elle ne détaille pas précisément lesquels, ni les conséquences directes ou indirectes de cette concentration.

De même dans sa note de prospective d’octobre 2021 elle n’analyse pas la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance.

Or, le moins qu’on puisse dire c’est que sur ce point les statistiques d’analyse de l’activité n’ont pas démontré l’existence d’améliorations du service rendu aux justiciables à la suite de cette fusion.

Preuve s’il en était besoin que ce n’est pas en parquant les magistrats dans un nombre de plus en plus réduit d’endroits qu’on parvient à les faire travailler plus (et surtout pas mieux…).

Les implantations judiciaires, un enjeu démocratique

Pour notre organisation la question du réaménagement des cours d’appels constitue un marqueur démocratique déterminant. Il n’est que temps de tirer les leçons des précédentes réformes qui ont été initiées sans un degré de concertation suffisant.

Il importe aussi de prendre la mesure des enjeux que traversent actuellement les juridictions :

Tout a été fait pour concentrer les lieux de justice, ce qui a eu pour effet concret d’éloigner les tribunaux des justiciables.

Et pourtant l’image de la justice n’a jamais été aussi mauvaise.

Tout a été fait pour « rationaliser » la dépense.

Et l’argent n’a jamais autant manqué.

Tout a été fait pour « augmenter la productivité ».

Et les juridictions travaillent toujours avec des logiciels antédiluviens.

Si le futur gouvernement issu des urnes au printemps prochain renouvelle la politique suivie jusqu’à présent et procède à une réforme brutale des implantations territoriales, sans avoir un projet global de remise à niveau des services les mêmes causes produiront immanquablement les mêmes effets : les personnels se désespéreront, les justiciables haïront jusqu’à l’idée même de justice, et la violence sociale connaîtra de nouvelles explosions, y compris dans des territoires fort éloignés du regard métropolitain.

Si un tel projet venait à être mis en œuvre dans ces conditions, nous serons là pour protéger les personnels et les justiciables d’un nouvel affaiblissement des structures qui ont vocation à garantir l’état de droit.

Pour défendre vos droits et faire vivre le pluralisme syndical rejoignez CFDT-Magistrats pour que les réformes soient faites avec les personnels et non pas contre eux !

Pour tout contact : Emmanuel POINAS conseiller à la cour d’appel d’Aix en Provence, délégué général, 06 84 84 30 07cfdt-magistrats@interco.cfdt.fr ,