La Diagonale

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Publication du 22 novembre 2022

Le 22 novembre 2022, 4 organisations professionnelles de magistrats, la quasi-totalité des organisations représentatives des agents du ministère de la justice et plusieurs organisations représentants les avocats ont appelé à manifester afin de voir obtenir de meilleures conditions de travail pour le service du justiciable.

Si le chemin est encore long pour voir satisfaire les besoins réels des services, après des années de dénégation, la petite musique du « défaut d’organisation des structures de terrain » devient de moins en moins crédible et l’administration n’ose plus la soutenir avec la vigueur d’autrefois. Mais elle continue à prendre d’autres formes, le terrain de la « mise en scène » du fonctionnement juridictionnel étant désormais exploré pour éviter d’éclairer trop directement les conséquences évidentes de la brutalité de la politique de restriction budgétaire pour les personnels et les justiciables.

TOULON CONTRE PARIS

Deux évènements récents doivent être mise en parallèle: le procès des attentats dits du « Bataclan » et l’arrivée du navire « Océan Viking » à Toulon.

Dans un premier cas, un procès médiatisé s’est déroulé sous les yeux de la planète entière et tout le monde a reconnu la maîtrise de l’organisation de l’audience.

Dans le second cas un afflux de procédures concernant des étrangers demandant l’asile n’a pas pû être absorbée par la juridiction toulonnaise.

Ce dernier épisode n’a pas manqué d’être présenté comme un fiasco par la presse locale et nationale alors même que les collègues ont tenté de faire face avec les moyens dont ils disposaient et dans les délais légaux contraints qui leurs étaient imposés.

Il est vrai que le tribunal judiciaire de Toulon est structurellement sous-calibré et qu’il manque a minima (et depuis au moins 20 ans) une chambre pour permettre aux effectifs d’absorber l’ensemble des contentieux. L’affaire dite de l’Ocean Viking en est la cruelle illustration.

Ce que démontre cette comparaison c’est qu’en matière de traitement normal des procédures pour le procès de Paris, « quand on veut, on peut » .

Ce qui devrait impliquer pour l’administration la suite logique : « Dès lors qu’on peut, on doit ». L’administration doit aux justiciables une justice qui fonctionne normalement, sous peine de voir celle-ci définitivement reléguée derrière la violence privée dans la régulation des rapports sociaux.

La presse nationale d’ailleurs commence à évoquer régulièrement ces « citoyens qui remplacent la justice » avec , très souvent l’usage de la force et de la brutalité. Sera-ce cela la justice du futur ?

LA JUSTICE REELLE OCCULTEE PAR LA JUSTICE MEDIATISEE

Incapable de mettre un terme à la politique de réduction des moyens, qui a parfaitement atteint l’objectif d’ empêcher tout investissement sérieux dans le fonctionnement des services pendant des années, l’administration s’attache à développer un champ d’activité qui confine à la création d’une vérité alternative.

Les tournages dans les lieux de justice se multiplient: dans les cours criminelles, dans un certain nombre de juridictions d’outre-mer et de métropole, au point que la page d’accueil du ministère de la justice et la lettre mensuelle de la Direction des services judiciaires ne manquent jamais de rendre compte de ces heureux évènements.

Ne nous leurrons pas: un documentaire n’est pas que la description de la réalité, c’est, à un moindre degré, mais à l’instar d’une fiction, l’exposé d’un point de vue choisi par le réalisateur.

Il faut être bien naïf pour penser que tout est « spontané » lors de la captation d’images documentaires. La « fictionnalisation » documentaire ne peut par ailleurs pas être identique au « temps » spécifique des professionnels. Elle est incompatible avec les (nombreux) temps morts (apparents) qui font la trame d’une audience, ou d’un débat. Elle ne peut pas supporter les termes d’un débat technique telle qu’une plaidoirie (il en existe encore) sur la construction d’un bâtiment ou l’état d’une prestation commerciale en matière civile.

DOCUMENTAIRE, FICTION OU COMMUNICATION ?

Pour être recevable en image, le travail juridictionnel doit être mis en scène.

Cette distance spécifique qu’impose la création d’un film documentaire n’est pas problématique en soi dès lors qu’elle est assumée par l’auteur et que celui-ci se présente son travail comme l’expression de son point de vue.

Elle est en revanche beaucoup plus inquiétante dès lorsqu’elle est relayée par une administration d’état qui participe ainsi à façonner la perception de son propre fonctionnement auprès de l’opinion publique sans exposer l’existence de cette subjectivité fondatrice.

D’autant plus que la frontière est parfois mince entre le documentaire et la fiction « intégrale » par exemple lorsque celle-ci fait l’objet d’un tournage dans les locaux mêmes d’un tribunal et qu’une telle proximité produit parfois de curieux effets de mise en abyme.

Ainsi, un de nos adhérents nous a rapporté qu’à l’occasion d’une permanence juge des libertés de fin de semaine, il avait fermé la porte de son bureau un peu fort; un preneur de son qui participait à un tournage dans les mêmes locaux était venu le voir en lui demandant de faire attention parce qu’il y avait des gens qui travaillaient…(!).

LES « LEGALTECHEURS » CONTINUENT D’AVOIR LE VENT EN POUPE

Dans le même temps l’administration continue à promouvoir les outils permettant de remplacer le recours à des personnels de terrain, ce qui pose parfois de redoutables questions.

Dernier exemple en date, un message d’une personne « intrapreneuse » qui a développé une application « Mon suivi justice » et qui a diffusé sur une liste de communication professionnelle l’intérêt qu’il y avait à utilisé son produit décrit comme le résultat du travail de « la première startup d’état du ministère de la justice » visant à déployer une « solution numérique » destinée à « diminuer l’ absentéisme (sic) des personnes condamnées ».

Ce qui met mal à l’aise ce n’est pas que des personnes de bonne volonté tentent d’améliorer le fonctionnement du service. Heureusement qu’il reste de telles dispositions d’esprit.

Ce qui est troublant c’est la chose suivante:

ou bien cette application a été développée pendant le service et avec des moyens publics, et à ce moment-là, c’est à l’administration qu’il reviendrait d’exploiter ce travail et de le valoriser;

ou bien c’est un travail purement individuel, mais alors pourquoi un opérateur privé a-t-il accès aux moyens de communication du ministère pour valoriser sa production ?

On imagine mal sur la même liste de discussion un magistrat ventant les mérites du dernier ouvrage qu’il a publié sans que cela ne suscite quelques légitimes interrogations…

LE PROGRES N’EST PAS LA TABLE RASE

Le mouvement de protestation du 22 novembre n’est pas l’expression d’un archaïsme, mais bien celui de l’attachement aux valeurs de justice et d’égalité devant la loi par les personnels qui ont appelé à la mobilisation. Contre la médiatisation, contre la virtualisation il revendique une justice plus humaine.

Il traduit la nécessité de voir les choses évoluer dans le sens d’une meilleure prise en charge de la situation des justiciables, tant dans le domaine civil que dans le domaine pénal.

Il est l’expression d’une espérance et pas seulement d’une désespérance.

Informations diverses

Le CSM en visite à Saint-Pierre et Miquelon, nouveau regard sur la « magistrature des confins »

Les juridictions de SAINT-PIERRE ET MIQUELON que sont le Tribunal supérieur d’appel et le Tribunal de première instance ont été récemment visitées par le Conseil supérieur de la magistrature. Toutes les fonctions juridictionnelles du premier degré sont assurées par deux magistrats du siège en juge unique, le président et un vice-président. Seul le Tribunal pour enfants est collégial. Le ministère public est assuré, pour les deux degrés de juridiction, par une procureure de la République près le Tribunal supérieur d’appel. Le Tribunal supérieur d’appel siège sous la présidence du président avec deux assesseurs issus de la population locale.

Statutairement les membres des juridictions sont rattachés à Paris : le président du Tribunal supérieur d’appel est Conseiller à la cour d’appel de Paris, la procureure de la République est Substitut du procureur général près la cour d’appel de Paris et le président du Tribunal de première instance est vice-président au Tribunal judiciaire de PARIS. Le SAR et le Comité social d’administration sont rattachés à la Martinique.Le volume du contentieux est peu comparable avec celui des juridictions, même du Groupe IV pour le Tribunal de première instance, de métropole ou d’outremer.

La population de l’archipel est d’environ 6.000 habitants répartis dans deux communes : environ 5.400 habitants pour Saint-Pierre et 600 habitants pour Miquelon-Langlade.

La simplicité qui pourrait s’en déduire n’est qu’apparente. Les contentieux soumis aux juridictions couvrent l’ensemble des branches du droit qu’une juridiction judiciaire est conduite à connaitre. La Collectivité Territoriale de Saint-Pierre et Miquelon dispose d’une compétence spécifique notamment en matière fiscale, douanière, d’urbanisme… Les juridictions appliquent, en matière civile, une partie du code de procédure civile et des dispositions issues d’un décret de décembre 1983. Un autre particularisme résulte de l’impossibilité actuelle de composer un Conseil des Prud’hommes et un Tribunal de commerce. Ainsi ces contentieux sont traités, toujours à juge unique, par le Tribunal de première instance. De plus la gestion du Registre du Commerce et des Sociétés relève du Tribunal de première instance.

Le service de greffe, rattaché au Tribunal supérieur d’appel, est composé d’une directrice de greffe, de trois greffiers et de 4 adjoints administratifs. L’effectif de greffiers titulaires va prochainement être renforcé sur deux postes et donnera plus de souplesse organisationnelle d’autant que l’applicatif CASSIOPEE est disponible depuis cette année alors que le passage à la PPN s’annonce.

Les professionels du droit sont peu nombreux à SAINT-PIERRE ET MIQUELON.

Il n’y a pas de barreau : cinq agréés remplissent les fonctions d’avocat et un avocat métropolitain a installé un cabinet secondaire sur l’Archipel. L’organisation des agréés est fixée par un « Acte de l’autorité locale » du 27 janvier 1945 qui répartit une partie des fonctions d’un « bâtonnier » entre les président du Tribunal supérieur d’appel et du Tribunal de première instance. Ils n’ont pas accès aux applicatifs du Ministère comme le RPVA ou PLEX.

L’archipel est également doté d’un centre pénitentiaire comportant 11 places permettant toutes formes habituelles d’incarcération. Une conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation est rattachée à la Guadeloupe.  Il y a une notaire, un huissier, avec un statut autonome, et une mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Cela pose des problèmes de pérennité et de permanence en cas d’absence ou de cessation des fonctions. Il n’est pas rare que la Justice connaisse des mêmes justiciables dans différents contentieux, ce qui pose inéluctablement des difficultés d’exercice liées à l’impartialité lorsque tous les contentieux du premier degré sont jugés à juge unique et que ce sont des citoyens locaux qui siègent aux côtés du président au Tribunal supérieur d’appel.

Par ailleurs, l’isolement géographique,limite les juridictions dans le champ juridictionnel tant en matière pénale qu’en matière civile et notamment familiale.Il est à souhaiter que la délégation du Conseil supérieur de la magistrature aura perçu les différentes problématiques auxquelles sont confrontées les juridictions de Saint-Pierre et Miquelon dans leur quotidien et leur organisation, notamment pour ce qui relève du ministère public.

La «magistrature des confins » et le manque de personnels: et si on appliquait le COJ au TPI de Nouméa ?

Outre qu’il est sous-dimensionné le tribunal de première instance de Nouméa connaît lui aussi d’importantes vacances de postes notamment au siège (en raison notamment de mutations opérées entre des « grands mouvements »). La question d’une délégation de magistrats métropolitains , en l’occurence parisiens pour assurer, même statuant par voie dématérialisée est possible par application des dispositions de l’article L 562-6-1 du Code de l’organisation judiciaire.

A l’heure ou l’on nous parle de « mutualisation » tous azimuth, la question mériterait d’être posée pour répondre à de criants besoins locaux en marge des « brigades temporaires » en cours de déploiement pour combler les manques des services ultramarins.

Cfdt-Magistrats dans les TOM: 10%

Notre organisation a recueilli 10% des suffrages des magistrats du siège lors du renouvellement des grands électeurs du CSM. Nous remercions chaleureusement les collègues qui nous ont soutenu.

Cfdt-Magistrats reçu au Secrétariat général du ministère

Nous rendrons compte des échanges avec le secrétariat général dans notre prochaine communication, celle-ci s’étant tenue le 29 novembre.