Le « joli » mois de mai ne l’aura pas été pour le corps judiciaire: le ministre de la justice a saisi le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) d’une demande d’avis sur la liberté d’expression des magistrats de l’ordre judiciaire, y compris à l’occasion des audiences de rentrée. Le CSM a rendu une série d’avis négatifs dans des proportions jamais égalées (plus d’une vingtaine) , la liberté syndicale est clairement remise en question par certains responsables politiques, les propositions de l’administration sur le lissage des « 1 000 euros » promis ont de quoi laisser les magistrats sur leur faim dès lors que la question de la revalorisation des astreintes et permanences n’ est pas à l’ordre du jour.

Liberté d’expression des magistrats de l’ordre judiciaire: la petite muette ?

Au siècle dernier l’expression « la grande muette » désignait l’armée .

La magistrature judiciaire serait-elle en train de devenir une « petite muette » ? En sollicitant un avis du Conseil supérieur de la magistrature sur la liberté d’expression des magistrats dans le champ syndical et à l’occasion des audiences de rentrée le ministre de la Justice a ouvert un débat qui fait apparaître une volonté manifeste de « rabattre » l’action des juridictions sur celles d’autres administrations, celles qui, par essence, doivent respecter le principe de soumission hiérarchique.

Le principe hiérarchique au sein des administrations n’est pas contestable en lui-même car il faut bien que les administrations soient administrées.

Mais un système qui fait constamment prévaloir le principe de soumission hiérarchique à la majorité politique du moment sans réfléchir à ce qu’induit une telle direction finit par devenir un système autoritaire.Tel n’est pas le cas actuellement. Toutefois, comment interpréter une telle demande d’avis ?

L’expression publique des autorités hiérarchiques à l’occasion des audiences de rentrée n’est pas théoriquement, en droit, l’expression de leur indépendance, car sur le plan administratif, les juridictions sont gérées par délégation du Garde des sceaux par des magistrats spécialement désignés (art r 312-65 du Code l’organisation judiciaire). Et le cadre de leur intervention est en principe limité (R 112-2 COJ ). Etonnament, elle est mieux protégée pour les membres du parquet que ceux du siège. Pour ces derniers elle a en effet été consacrée par le CSM à l’occasion de la décision « Apap » (CSM P 23 janvier 1987).

Dans les faits, cette parole institutionnelle est devenue une manifestation d’indépendance en ce qu’elle exprime de plus en plus souvent les besoins non pourvus des services.

Penser « recadrer » un tel mode d’expression ne pourra que conduire à la restreindre alors même que l’Etat-employeur des magistrats ne leur assure le plus souvent ni des conditions de travail normales, ni le bénéfice de la protection fonctionnelle, ni même l’assurance d’une médecine de prévention réellement disponible.

S’agissant de la parole syndicale ce serait évidemment pire. Si faire du syndicalisme ce n’est pas dire n’importe quoi, en faire sans pouvoir parler laisse songeur sur l’étendue de la liberté ainsi « concédée ».

Evaluation des chefs de cours: casse-tête statutaire sur fond d’exercice du pouvoir hiérarchique

La question de l’évaluation des chefs de cours pose en un sens la même question que celle de l’exercice de la liberté d’expression.

Elle signe « en creux » l’impossibilité de tracer une ligne cohérente sur l’exercice du pouvoir hiérarchique s’exerçant sur les magistrats de l’ordre judiciaire. En effet, il est en principe impossible d’évaluer un magistrat sur le contenu des décisions juridictionnelles qu’il rend. Mais les chefs de ocurs peuvent-ils être évalués sur leur capacité à organiser les service ? Ce serait difficile car ils tiennent leur pouvoir d’organisation du service du ministre de la justice comme il a été rappelé ci-dessus.

Ils se trouveraient donc amenés à être évalués sur leur capacité à mettre plus ou moins bien en oeuvre la politique décidée par le ministre ce qui, chacun en conviendra ne constituera pas un marqueur de leur indépendance. La question de l’autorité d’évaluation n’est pas mince non plus car elle pose de réelles questions sur les instances disposant de la légitimité à la conduire .

La conférence des premiers présidents lors de sa réunion du 22 mai a abordé cette question pour stigmatiser une approche « très verticale de l’institution judiciaire» (sic) dans les termes du projet de loi organique. Notre organisation ne peut que rejoindre cette analyse et espérer que cette volonté d’une régulation plus horizontale se manifeste au quotidien dans l’ensemble des ressorts (notamment en ce qui concerne l’expression des besoins des services).

La question est surtout révélatrice d’une incapacité d’un certain nombre d’acteurs politiques à réfléchir sur la nature de l’indépendance qui doit être reconnue au corps judiciaire et sur la réalité du travail juridictionnel lui-même.

L’indépendance juridictionnelle n’est pas soluble dans la productivité néolibérale ni dans l’hyper-contrôle bureaucratique. Elle est une autre forme de l’expression des principes démocratiques et doit être en conséquence conceptualisée comme telle à tous les niveaux de l’organisation juridictionnelle.

Transparence « CSM »: la roulette russe !

La communication de l’avis du CSM le 23 mai 2023 a eu l’effet d’une bombe pour bon nombre de collègues, y compris les chefs de juridiction qui espéraient que les vacances de poste soient comblées . 25 d’entre eux ont été confrontés à un avis négatif.

Pour les magistrats qui ne siègent pas au CSM un tel nombre de refus reste incompréhensible, le Conseil n’ayant pas assorti cet avis du moindre commentaire.

C’est d’ailleurs là le principal problème.

Qu’il y ait des « divergences d’appréciation » entre la Direction des services judiciaires et le CSM à propos des « mérites vertus et talents » des magistrats, c’est parfaitement possible. Mais comment les « évincés » peuvent-ils apprécier ce qu’il leur conviendrait d’améliorer pour obtenir ce qu’ils demandent, ou postuler utilement sur autre chose ?

Le simple fait que le CSM se soit doté pour la gestion des collègues de règles et principes non prévus au statut (comme la règle dite « des 3 ans »), alors même que le CSM n’est pas une instance représentative des organisations professionnelles de magistrats pose de nombreux problèmes de droit.

Si les magistrats qui font l’objet d’un avis négatif peuvent aujourd’hui souvent assez facilement échanger avec la Direction des services judiciaires sur leur déroulement de carrière, un tel service ne leur est pas offert par le CSM, même pour les postes dont il a vocation à assurer le recrutement.

En matière de nomination le CSM n’est qu’une administration. Une administration qui dispose d’un statut constitutionnel et qui exerce en outre des fonctions juridictionnelles, mais une administration.

Or aujourd’hui les administrations communiquent et surtout informent le public sur leur action.

Si l’on ne veut pas que la magistrature judiciaire devienne la « petite muette » le CSM devrait selon notre organisation publier bien plus régulièrement et plus précisément les critères qui fondent ses décisions.

Avec tout le respect que l’on doit à cette institution, elle est loin d’assurer une telle transparence ce qui ne peut qu’augmenter les griefs « d’entre soi », de fonctionnement arbitraire et d’obscurité qui sont souvent associés au corps judiciaire.

Rémunération des magistrats: tout sauf limpide

Le ministère de la justice a diffusé à l’occasion de la CPE du 16 mai les projets de décrets et d’arrêtés qui ont vocation à assurer la répartition des « 1 000 euros en moyenne » promis par le Garde des sceaux aux membres du corps judiciaire.

Le moins qu’on puisse dire est que ces « innovations » ont surtout pour objectif de maintenir les grilles existantes . Le projet vise donc à assurer la rémunération supérieure des magistrats qui exercent des fonctions supérieures.

Quoi de plus normal , mais quoi de plus décevant dans la mesure où le projet prévoit une augmentation du taux moyen de prime modulable et qu’il a pérennisé la rémunération des astreintes et permanences selon des modalités qu’il convient de qualifier de clopinettes (56 euros par intervention rappelons-le pour un montant mensuel maximal de 784 €).

Or les astreintes et permanences qui peuvent comporter du travail de nuit portent directement atteinte au droit au repos, et à la continuité de la vie familiale. Le message envoyé est clair: ce qui est le plus préjudiciable à la santé du magistrat et potentiellement le plus utile au maintient de l’ordre public dans l’ensemble des ressorts reste le travail le moins bien payé. La question du repos compensateur généralisé après un week-end d’intervention n’est pas abordée.

S’agissant de la prime modulable celle-ci aura vocation à être fixée par application d’un coefficient variant entre 0 et 3 mais les modalités de mise en œuvre de ces dispositions ne sont pas précisées dans les projets soumis à la CPE. Notre organisation s’oppose à l’augmentation de cette part variable de la rémunération des magistrats susceptible d’être utilisée comme un moyen de pression et de sanction déguisée.

La rémunération de la demi-journée des magistrats honoraires non juridictionnels devrait passer de 100 à 124,43 €. Tant mieux pour eux, et tant pis pour les magistrats d’astreinte de nuit…

Rappelons enfin que s’agissant d’une augmentation « en moyenne » personne n’est à ce jour assuré de voir substantiellement augmenter sa rémunération.

CFDT-MAGISTRATS appelle à la mise en place d’un front syndical commun pour obtenir la revalorisation des astreintes et permanences de fin de semaine et de nuit.