Dans un arrêt mentionné aux tables paru le 12 juillet 2024 (n°468662) le Conseil d’Etat a admis l’existence d’un recours pour excès de pouvoir contre les conséquences matérielles d’une décision disciplinaire prise à l’encontre d’un magistrat du siège. Ce collègue, muté d’office a entendu contester les conditions de son éviction de sa juridiction d’origine. Le Conseil d’Etat a rejeté ses demandes mais a reconnu que l’éviction d’un magistrat de son tribunal, même décidée par le Conseil supérieur de la magistrature pouvait donner lieu à un contrôle des conditions de mise en œuvre de la sanction.
L’arrêt est intéressant car il assimile l’exécution des décisions disciplinaires à des décisions qui relèvent de la discipline des magistrats de l’ordre judiciaire et donc, aux litiges qui relèvent de la compétence exclusive du Conseil d’Etat.
Le magistrat sanctionné avait saisi le Conseil d’Etat d’un recours en cassation contre la décision du CSM, et le pourvoi a été rejeté. Mais il a élevé un contentieux sur l’exécution de la sanction qui lui a été admis (mais rejeté aussi). En parallèle, comme nous y reviendrons, il a également saisi la CEDH pour contester la non-admission de son pourvoi en cassation.
Quel intérêt pour un arrêt de rejet ?
Pour la profession l’intérêt de cet arrêt est potentiellement important.
Tout d’abord il annonce que le Conseil d’Etat entend exercer un contrôle sur les conditions d’exercice du pouvoir disciplinaire et pas seulement sur la procédure disciplinaire.
Procéduralement ensuite les cas de contestations sont plus ouverts à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir que pour un recours en cassation. Les possibilités de contestation sont donc plus nombreuses. Le Conseil d’Etat dans le cas d’un recours pour excès de pouvoir a par ailleurs vocation à procéder à une instruction complète de la procédure suivie par l’administration, ce qui n’est pas le cas pour un recours en cassation, procédure dans laquelle c’est la régularité formelle des décisions qui est en premier lieu en cause.
De l’indéniable intérêt qui existe à faire le procès de son procès.
Le parcours procédural mis en mouvement par le collègue démontre qu’ il n’est jamais inutile de faire le procès de son procès.
Ainsi, la saisine de la CEDH apparaît aussi articulée sur l’appréciation des conséquences d’un déplacement d’office au regard des dispositions de l’article 8 de la Convention EDH (le droit au maintien des liens familiaux) et celle-ci a pour l’instant été jugée recevable.
Autrement dit, ce n’est pas le tout d’avoir été muté de la ville de A à la ville de B, encore faut-il que le lieu d’affectation ne constitue pas en soi une sanction supplémentaire excessive.
C’est à ce type de contrôle que le Conseil d’Etat a ouvert la porte à l’occasion d’un arrêt mentionné dans ses tables. La publication même par une simple mention aux tables indique que la juridiction administrative a entendu élever cette décision au rang de « référence » pour ses appréciations futures.
Après l’arrêt du Conseil constitutionnel du 26 juin 2024 (n°2024-1097 QPC), relatif au droit au silence devant le CSM, l’arrêt du 12 juillet 2024 contribue à démontrer que les droits afférents à la défense disciplinaire se gagnent aujourd’hui bien plus par la voie de la défense individuelle que par l’édiction de normes assurées par la représentation nationale.
C’est sûrement regrettable, mais c’est la réalité du droit applicable.
Pourquoi le statut de la magistrature n’est-il pas avant tout un droit de l’indépendance ?
Pourquoi l’expression de garanties procédurales résulte-t-elle de décisions de justice et n’est-elle pas déjà le fait de la loi organique qui est en principe une des principales garanties d’indépendance du corps judiciaire et partant des juridictions de l’ordre judiciaire ?,
Pourquoi en est-il ainsi alors même que le statut de la magistrature est réformé au moins une fois à chaque législature ?
Quoi qu’on pense des magistrats de l’ordre judiciaire en général et de l’action de certains d’entre eux en particulier, cela n’a rien de rassurant. Car un pouvoir disciplinaire peu contrôlable procéduralement pourrait constituer un « bras armé » pour mettre au pas la magistrature dans son ensemble, ou certains de ses éléments dont l’action ne plairait pas à d’autres autorités.
Quel avenir pour l’indépendance de l’autorité judiciaire « à la française » ?
S’agissant des procédures de nomination, lors de la précédente législature, comme au cours de beaucoup d’autres, les représentants du pouvoir exécutif n’ont pas rechigné à « étendre » leurs compétences en matière de nomination en contradiction avec les textes et les « coutumes » qui fondent l’apparence d’impartialité des juridictions. Ainsi en 2016 les candidats au poste de Procureur de la République de Paris ont-ils fait l’objet d’un rendez-vous préalable à leur nomination avec le premier ministre de l’époque, selon les articles de presse non démentis parus alors, pour ne citer que cet exemple.
Rappelons que dans un arrêt postérieur à cette initiative, la CEDH a considéré « qu’il est essentiel que non seulement les juges soient indépendants, mais également que leur procédure de nomination donne cette apparence . C’est pour cette raison que les règles pour la nomination d’un juge doivent être respectées strictement. Autrement, la confiance des justiciables et du public dans l’indépendance et l’impartialité des tribunaux risquerait d’être érodée » (Gudmundur Andir Astradisson c Islande, Grande chambre, 1° décembre 2020, req n° 26374 /18).
Ces prises de positions manifestement contraires aux critères concourant à l’indépendance des tribunaux dégagés par la Cour de Strasbourg constituent néanmoins autant de précédents susceptibles de permettre aux gouvernants qui succéderont à l’actuelle représentation nationale d’exciper d’une « coutume » validant des pratiques. Les standards « français » tendraient alors à s’éloigner de plus en plus des standards internationaux.
CFDT-Magistrats rejoint la position publiée par le CSM à l’occasion de la diffusion de son dernier rapport d’activité : plus que jamais l’Etat de droit est une valeur qu’il convient de défendre et de respecter pour elle-même et non pour les avantages temporaires qu’elle procure.