CDAD de Fort-de-France : Pirates des Caraïbes ?

Apparemment des investigations seraient en cours concernant des détournements de fonds commis au Conseil départemental d’accès au droit de Fort-de-France. Nous reviendrons sur cette situation si ces enquêtes établissent des faits prouvés, les personnes concernées ayant pour l’instant droit au strict respect de la présomption d’innocence.

Référentiel « charges de travail » , revenir aux grands principes.

Une organisation syndicale a proposé de voir utiliser par la profession un référentiel des charges de travail établi à l’initiative de la conférence des présidents de tribunaux. Avec tout le respect que l’on doit à ces deux organisations la validation d’un référentiel privé non homologué par l’administration pour évaluer les charges de travail des magistrats du siège pose un problème de principe, quelles que soient ses vertus intrinsèques .

Si la commission « justice » d’un parti politique considérait qu’il y a 2 ou 3 fois trop de juges par rapport à sa norme de travail « maison » comment s’opposer au recours à une telle appréciation alors que le principe d’un référentiel « extérieur » en a déjà été admis et validé par les représentants du corps judiciaire ?

L’Inspection de la justice a elle aussi diffusé un référentiel qui apparaît beaucoup plus « opposable » à l’administration dès lors qu’elle en est à l’origine.

Karl von Clauzewitz écrivait que dans un état aussi dangereux que la guerre les pires erreurs sont celles qui naissent des bons sentiments.

Dans une époque aussi incertaine que la nôtre la fidélité à un minimum de principes fondamentaux n’apparaît pas être un luxe mais bien une nécessité.

CEDH 25 juillet 2024, le recours d’Edouard Levrault déclaré irrecevable.

Le magistrat Edouard Levrault avait été détaché dans la principauté de Monaco au cours de l’année 2016, en qualité de juge d’instruction. Il a été mis fin à ce détachement au cours de l’année 2019. Des griefs relatifs au comportement allégué à l’encontre de ce magistrat durant cette affectation avaient fondé une saisine du Conseil supérieur de la magistrature. Celle-ci était restée au final infructueuse (CSM S 252 15 septembre 2022) .

La décision d’ordonner une enquête disciplinaire prise par Eric Dupont-Moretti pour instruire sur ces griefs avait valu à ce dernier d’être renvoyé devant la Cour de justice de la République.

L’avocat Eric Dupont-Moretti, défenseur d’un membre de la police monégasque avait en effet saisi Nicole Belloubet alors ministre d’une plainte contre le juge Levrault daté du 20 juin 2020. Moins de trois semaines après, le 6 juillet 2020 Eric Dupont-Moretti remplaçait Nicole Belloubet place Vendôme. L’inspection ordonnée le 31 juillet 2020 par le nouveau ministre avait justifié l’allégation d’un grief de conflit d’intérêt à l’encontre de ce dernier. L’accusation n’était pas retenue par la juridiction compétente pas plus que les autres griefs concernant des faits impliquant d’autres collègues (CJR, 29 novembre 2023).

Edouard Levrault avait saisi les juridictions monégasques, pour contester le refus de renouvellement de son détachement. Le recours déposé le Tribunal suprême avait été rejeté.

La CEDH a ensuite été saisie par requête du 19 octobre 2020 (n°47070/20) .

La décision d’irrecevabilité présente un réel intérêt car elle rappelle le caractère « politique » qui reste attaché à un certain nombre de nominations de magistrats du siège. En l’espèce ce caractère s’applique à celles qui sont proposées par la République Française à la Principauté de Monaco sur la base d’une convention internationale signée en 2005 qui lie les deux parties.

Interpellé par le Directeur des services judiciaires français sur les raisons du non-renouvellement opposé par la Principauté, le Directeur des services judiciaires monégasques répondit que par application de la Convention, cette décision constituait un acte de gouvernement et n’avait donc pas à être motivée.

La contestation élevée devant la Cour de Strasbourg portait sur l’atteinte portée à l’indépendance des juridictions monégasques par la décision d’arrêt du détachement.

Pour la CEDH le statut de magistrat détaché à Monaco n’impliquait tout d’abord aucun droit à renouvellement à l’issue d’une période de trois ans. Or il n’était pas contesté que le détachement était bien allé à son terme. Ensuite, la protection de l’inamovibilité instituée par la Constitution n’avait pas vocation à couvrir le champ des détachements d’un magistrat français en poste à l’étranger. Par ailleurs, il n’était pas non plus possible, au regard des critères de sélection négociés entre les deux pays de démontrer que le refus de renouvellement avait eu pour effet ni pour objet de ralentir les investigations qui avaient été initiées par celui-ci.

En dépit des tensions qui ont pu être relevées par la Cour entre le magistrat et la police monégasque, il n’avait jamais été allégué l’existence d’une faute justifiant du refus d’un nouveau détachement ; la fin du détachement à son terme ne pouvait enfin être rapprochée de procédures visant à obtenir un départ anticipé du magistrat ni une suspension provisoire qui aurait produit les effets d’une éviction déjà sanctionnées par la Cour dans des affaires intéressant d’autres Etats (et notamment la Hongrie et la Pologne).

Et la Cour de conclure pour rejeter l’existence d’une procédure recevable sur le fondement de l’article 6 de la Convention EDH : « La dimension diplomatique du détachement, son fondement juridique dont la source est une convention internationale, et sa durée limitée le différenciaient, par essence, de toute mesure interne affectant la carrière d’un magistrat dans son propre pays dont la Cour a eu à connaître à ce jour ».

Ou, pour le dire autrement, un emploi « à discrétion du gouvernement » ne peut pas être assimilé à un emploi strictement juridictionnel et bénéficier de l’intégralité des dispositions protégeant attachées à cet exercice au terme prévu par la nomination initiale.