I) questions sur la méthode

Jean-Marc Sauvé interrogé par France Inter confirme le recours à une méthodologie surprenante !

Lors de son intervention du 7 juillet 2022 au micro de l’émission « Le téléphone sonne » programmée à 19 heures, l’ancien conseiller d’État a présenté les axes des travaux des « Etats généraux de la justice ».

Plusieurs de ses propos éclairent d’une manière assez crue la réalité de la méthode suivie pour la présentation de ces travaux.

 1500 Magistrats, dont des recrutements latéraux

Le titulaire de la lettre de mission des « Etats généraux » a présenté dans les grandes lignes les préconisations auxquelles le groupe est arrivé.

Dont acte, ces préconisations seront analysées sur la base du rapport, dans une communication syndicale ultérieure.

Notons simplement, que dès à présent l’ensemble de ces 1 500 magistrats ne seront pas, selon ces déclarations, nécessairement recrutés par l’ENM mais qu’il sera fait appel à des juristes exerçant dans d’autres administrations ou dans des entreprises privées.

Vu le niveau des rémunérations servies au corps judiciaire, on ne peut que s’interroger sur les succès prévisibles de ces « débauchages », mais nous y reviendrons.

Pas de risques pour le budget de l’État.

C’est après la 20° minute d’audition que les échanges prennent un tour intéressant.

Revenant sur le nombre de ces recrutements le président Sauvé commence par rappeler qu’ils ne mettront pas en péril des finances de l’État.

Notre organisation ne peut que partager ce point de vue : contrairement à une expression qui a fait florès en son temps la justice, rapportée à la population du pays de ne coûte pas un « pognon de dingue », et prévoir une augmentation de 16 % de l’effectif du corps judiciaire apparaît être un engagement budgétaire fort limité au regard des besoins réels de l’institution.

« Par le plus grand des hasards… »…

Le président Sauvé indique ensuite que « par le plus grand des hasards » (sic), les propositions du groupe de travail « correspondent aux propositions du Président de la République pendant la campagne électorale ».

Mais c’est la suite qui donne le vertige. La journaliste demande à son invité pourquoi les conclusions du groupe de travail n’ont pas été communiquées pendant la campagne électorale. Question, on en conviendra, très pertinente.

…mais « Pas pendant la campagne »

La réponse en substance est la suivante : le rapport était achevé fin avril, et il a été finalisé début mai. Il était alors prévu de le remettre au gouvernement, mais celui-ci n’était pas formé ; le rapport ne devait pas être remis pendant la campagne des législatives car il ne fallait pas que celui-ci puisse servir à nourrir la polémique pendant la campagne.

Il revendique ouvertement ce décalage calendaire (après la 22° minute).

En peu de mots l’ancien conseiller d’État a confirmé un choix de communication comportant un énorme biais juridique et une étrange conception politique:

Entre la fin du premier mandat d’Emmanuel Macron et la dernière confirmation d’Elisabeth Borne le pays n’est pas resté sans gouvernement et il y avait à Matignon un récipiendaire tout désigné. M le président Sauvé le savait parfaitement.

S’agissant du refus de publier le rapport pendant la campagne des élections législatives la réponse est étonnante et même inquiétante du point de vue démocratique.

Le président Sauvé savait parfaitement ce que contenait le rapport et quelques minutes auparavant, il a indiqué que « par le plus grand des hasards » ces préconisations « rejoignaient » celles du président de la République pendant la campagne.

En quoi consistait donc le risque de polémique ?

Se trouvait-il dans le contenu des préconisations ou dans leur conformité au programme présidentiel ?

Pourquoi est-il devenu dangereux pour la démocratie parlementaire de soumettre les conclusions d’un groupe de travail qui a entendu « près de 50 000 personnes » et dont le calendrier prévisionnel a été fixé à marche forcée dès l’automne, à un débat susceptible d’influencer la législation, l’organisation des services et pour tout dire, la destinée judiciaire du pays pendant les cinq prochaines années ?

Notre organisation ne peut que regretter de telles déclarations qui obèrent complètement la régularité de la méthode employée pour arriver aux conclusions dont « le président de la République » et  le gouvernement régulièrement institué pourront assurer la mise en œuvre « par le plus grand des hasards » dans les mois qui viennent .

Selon un proverbe persan bien connu il est des souverains auxquels on ne se risque pas à mentir et d’autres auxquels on ne se risque pas à dire la vérité.

Pour M Sauvé le « Peuple français » qui exerce la souveraineté par l’intermédiaire de ses représentants élus, conformément au texte de la Constitution appartient visiblement à la seconde catégorie.

Nous ne partageons pas cette analyse.

Par le plus grand des hasards (derechef…)

Nous la partageons d’autant moins que l’un des rapporteurs du « Tome 5 » des Etats généraux (pilotage et organisation) se prépare à devenir le conseiller « Justice » du Président de la République. Ainsi « par le plus grand des hasards » il sera placé dans une position qui lui permettra d’apprécier l’avancement des travaux qu’il aura contribué à rédiger. Quels que soient ses mérites personnels par ailleurs sur lesquels nous n’avons aucun doute ( nous ne refuserons bien entendu pas de le rencontrer), une telle situation pose elle aussi de nombreuses questions.