Communication du syndicat CFDT-Magistrats, 31 mai 2022

Notre organisation a choisi de contester devant le Conseil d’Etat le décret autorisant la possibilité de filmer les audiences dans les tribunaux .

Le décret « audiences filmées » : une mauvaise réponse à une bonne question

Nul ne disconvient de la mauvaise perception du fonctionnement de l’autorité judiciaire dans l’opinion publique.

Convient-il cependant de permettre la captation d’images dans les tribunaux pour améliorer cette perception ?

Notre organisation soutient que c’est l’amélioration du service rendu aux justiciables qui sera la véritable clef du rétablissement de la confiance, et non la médiatisation du travail juridictionnel telle qu’elle est actuellement organisée.

La réforme de la loi sur la liberté de la presse un « cavalier » législatif ?

La possibilité de filmer les audiences a été supprimée en 1954 à la suite des débordements de l’affaire « Dominici ». Elle a par la suite été autorisée notamment à des fins « patrimoniales » ( autrement dit d’intérêt historique, par exemple le procès « Klaus  Barbie »), mais sous réserve de l’accord du président d’audience et des parties et la disposition a été intégré dans le Code de l’organisation judiciaire. Pourquoi ce qui relève purement de la pratique juridictionnelle n’a-t-il pas aujourd’hui donné lieu à une réflexion sur la pratique juridictionnelle mais seulement sur la liberté d’informer ?

Pour notre organisation ces dispositions qui influenceront la pratique juridictionnelle doivent relever d’un débat dans le cadre des dispositions qui délimitent notamment les droits des parties, l’organisation du service juridictionnel, voire le statut des magistrats.

Le choix de réformer la loi sur la presse constitue selon notre analyse une nouvelle illustration de l’absence de prise en compte des dispositions qui garantissent l’indépendance des magistrats dans leur pratique juridictionnelle.

Une nouvelle forme de pression médiatique ?

Lorsque l’on connaît le fonctionnement effectif des services « en mode dégradé » qu’attend-t-on de cette nouvelle forme de médiatisation ?

La presse rend compte de ce qui se passe dans les tribunaux depuis pratiquement deux siècles.

Sa présence dans les salles d’audience n’a jamais posé de réels problèmes depuis la réforme de 1954. Car cette présence a depuis été fondée sur un devoir d’objectivité qui s’incarnait dans un écrit et très accessoirement dans des images filmées.

L’image et en particulier l’image diffusée par un média audiovisuel, porte en elle-même une dynamique de rapport au réel très différente de l’écrit.

En un sens elle bénéficie d’un postulat de vérité qui fait oublier qu’il s’agit en réalité d’un discours construit. Elle traduit une subjectivité. Mais elle est tenue pour « vraie ».

Ce n’est donc pas un point de détail que de voire basculer durablement l’intervention de la presse audiovisuelle dans les juridictions.

Une inexplicable divergence entre les juridictions administratives et les juridictions judiciaires

Il serait trop long ici de lister l’ensemble des griefs de fond et de forme que notre organisation déploiera devant le Conseil d’État. Nous ne citerons qu’un exemple : celui de la question de l’autorité appelée à autoriser le tournage dans les tribunaux.

Au sein de l’ordre administratif, il s’agit du président du tribunal.

Au sein de l’ordre judiciaire, il s’agit des chefs de la cour d’appel.

Une décision administrative peut-elle influencer la police de l’audience ?

La décision prise par les chefs de cours est une décision prise par une autorité administrative . Elle ne présente aucun caractère juridictionnel.

Pourquoi dès lors peut-elle décider de ce qui se passe dans une salle d’audience qui relève d’une pratique directement rattachée au pouvoir juridictionnel que détiennent les tribunaux ?

Pourquoi les garanties qui entourent les procès « patrimoniaux » n’ont-elles pas été reprises pour les affaires non « patrimoniales » ?

Des améliorations qui se font attendre.

Le décret du 31 mars 2022 a été pris pour l’application de la loi « pour la confiance dans l’institution judiciaire ».

Cette loi a autorisé la possibilité de filmer des audiences, afin, comme c’était le cas pour « l’open data des décisions de justice » et aussi les « Etats généraux de la justice » réclamés par certains, de voir améliorer l’image de la justice auprès des justiciables.

Ces dispositifs montrent leurs limites :

«L’open data » dont il était attendu beaucoup en 2016 (il y a donc déjà six ans), n’a pour l’instant pas justifié une diminution des flux de saisine des tribunaux. En revanche nombre de magistrats s’interrogent sur leurs pratiques rédactionnelles, ce qui n’est pas sans poser de réelles questions sur leur réelle indépendance juridictionnelle.

Des dispositions purement techniques sont ainsi en passe de modifier le cœur du travail juridictionnel.

Les « Etats généraux » sont en mode « pause ».

La loi « pour la confiance » a été édictée en décembre 2021, c’est à dire trop récemment pour en critiquer le déploiement. Mais l’un des premiers décrets pris pour son application concrète, dont l’application a fait l’objet d’une forte campagne de communication du ministère de la justice mérite lui, assurément, d’être critiqué.