Droit au silence et procédure disciplinaire : les magistrats financiers gagnent leur droit de se taire

Dans une décision du 18 octobre 2024 (2024-1108 QPC) le Conseil constitutionnel a considéré que les magistrats membres des chambres régionales des comptes et de la Cour des comptes qui étaient poursuivis dans le cadre d’une procédure disciplinaire avaient vocation à bénéficier de dispositions leur rappelant l’existence d’un droit à garder le silence. Ces dispositions n’existant pas en l’espèce, le Conseil constitutionnel a laissé au législateur un délai de possible mise en conformité au 1° octobre 2025.

Cette décision traduit une tendance générale de l’interprétation du Conseil constitutionnel qui l’a d’abord appliqué aux notaires, puis aux magistrats judiciaires le 26 juin 2024.

Maladie professionnelle des magistrats judiciaires : une décision de la Cour d’appel administrative de Lyon précise le cadre d’application

Dans un arrêt du 17 octobre 2024 la Cour administrative d’appel de Lyon a précisé les conditions dans lesquelles un magistrat judiciaire pouvait prétendre à la reconnaissance d’une maladie professionnelle (24LY00249).Par application des dispositions du statut de la Fonction publique : « Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l’exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu’un fait personnel de l’agent ou tout autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l’aggravation de la maladie du service. ».

En l’espèce un magistrat du parquet invoquait l’existence d’une pathologie dépressive déclenchée au cours de l’année 2021 à la suite du traitement particulièrement éprouvant d’une procédure survenue au cours de l’année 2007. La Cour a retenu que si les fonctions exercées avaient en l’espèce pu exposer le magistrat à des faits dont le traitement était particulièrement éprouvant, celui-ci n’avait pas manifesté de demande de prise en charge particulière. Les conditions de travail et les conditions de dialogue avec l’autorité hiérarchique n’auraient par ailleurs justifié aucune prise en charge particulière rendue nécessaire par la dégradation de son état de santé. La Cour a donc considéré qu’en l’espèce la pathologie était détachable du service.

Décret « assistants de justice » : de la délégation de la signature des magistrats judiciaires

Le décret du 30 octobre 2024 d’application immédiate a réglé la situation et les compétences des nouveaux « assistants de justice ».

Le texte publié présente un risque sérieux d’atteinte aux pouvoirs que les magistrats du siège tiennent de la loi (la conciliation est une mission du juge au sens de l’article 21 du code de procédure civile). Reprenant le texte de l’article L 123-4 du Code de l’organisation judiciaire il prévoit que les magistrats puissent « déléguer leur signature » à des assistants de justice pour organiser des phases de conciliation ou de médiation. Ce qui pose un triple problème.

Premièrement , la notion de délégation de signature est un concept tiré du droit administratif qui n’existe pas pour les compétences juridictionnelles qui se délèguent par commission rogatoire ou par ordonnance spéciale.

Deuxième difficulté, l’assistant de justice est un agent contractuel dont la délégation auprès du magistrat ne dépend pas de ce dernier. Donc la « délégation de signature » ne pourra être mise en œuvre que si l’assistant de justice reste affecté auprès du magistrat en question, ce qui dépend des instances qui organisent le travail de l’assistant de justice et non du magistrat qui lui déléguera sa signature. Autrement dit la délégation d’une compétence juridictionnelle supposera l’accord de l’instance administrative qui organise le service. Ce qui est une curieuse conception du respect des attributions juridictionnelles.

Enfin troisièmement, à la seule lecture du décret il apparaît que l’assistant de justice n’est pas protégé dans l’exercice de sa mission comme peut l’être le magistrat qui lui délègue sa signature, ni le conciliateur, ni le médiateur. Comment déléguer une compétence juridictionnelle à un agent dont l’indépendance fonctionnelle n’est pas spécifiquement consacrée par une disposition statutaire ?

« Coup de rabot » au ministère de la justice : un budget 2025 « Mais que nada ».

La dernière mouture du budget du ministère de la Justice fait apparaître que la diminution des crédits alloués ne sera « que » de 250 millions d’euros. C’est deux fois moins que ce qui a été annoncé initialement, mais cela reste une somme considérable par rapport aux besoins du ministère. Comme dans la chanson « Mais que nada » (mieux que rien), ce n’est pas parce qu’on entend une mise en musique joyeuse que le texte ne reste pas foncièrement déprimant.

Le procès « de Mazan » nouvelle illustration d’une recherche d’efficacité  qui atteint son objet .

Dans un article paru dans « Le Figaro » le 2 octobre 2024 il a été soutenu que la formation chargée du jugement de l’affaire du viol collectif dit « de Mazan » tenu sous l’empire de « la dictature du planning » entendait « foncer vers le verdict ». Or il convient de rappeler que l’organisation de ce procès constitue une simple application de la loi issue de la réforme soutenue par le Gouvernement d’Edouard Philippe en 2018.

Dès l’origine la transformation des cours d’assises en cours criminelles départementales a eu pour objectif assumé de permettre un traitement accéléré des procédures criminelles en limitant le recours au jury et en autorisant l’examen des charges par des juges professionnels uniquement, ceci dans le but de limiter le temps d’examen des charges et le temps de délibéré.

Tout comme la réforme de la carte judiciaire, la suppression des tribunaux d’instance, les réformes sans nombre qui ont accru puis réduit le périmètre d’intervention des juges des libertés et de la détention, la création des juridictions spécialisées, ces politiques motivées par une « recherche d’efficacité » n’ont nullement manqué leur objet : elles l’ont atteint, et les magistrats les ont appliquées loyalement en s’adaptant aux nouvelles architectures et procédures qui étaient promulguées.

Apprécier si ces « recherches d’efficacité » ont durablement contribué à l’amélioration du service rendu aux justiciables c’est une question d’une autre nature qu’il conviendrait de se poser à l’avenir avec beaucoup de sérieux.

Rapport de la CEPEJ 2024 : de l’intérêt de changer de point de vue

En France l’investissement dans les services judiciaires depuis plusieurs années est présenté comme « exceptionnel ». Ce qui est exact, mais ce qui n’est pas forcément « vrai ».

Selon le dernier rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice ces crédits sont en France et depuis de nombreuses années inférieurs à la moyenne des autres Etats d’Europe.

Le ratio du nombre d’agents associés à des magistrats professionnels ne fait pas apparaître qu’un grand nombre de collaborateurs compenserait un faible nombre de juges ou de procureurs comme cela peut être le cas dans des pays ou le nombre de magistrats professionnels est faible (le Royaume-Uni et l’Irlande en particulier). Le nombre de magistrats pour 100 000 habitants est par ailleurs inférieur voire très inférieur à de nombreux pays comparables s’agissant de la justice judiciaire (Italie, Espagne, Allemagne et Belgique par exemple).

S’agissant du nombre de parquetiers rapporté à la population on voit mal comment on pourrait encore diminuer le ratio de 3 pour 100 000 habitants sans encourir le risque de passer du « faire mieux avec moins » à « faire quelque chose avec rien ».

Il convient bien entendu d’ appréhender les données pour ce qu’elles sont et ne pas se laisser illusionner par le recours à un « chiffre unique ». Mais elles font apparaître que d’autres Etats parviennent à déployer plus de moyens pour assurer le fonctionnement de leurs tribunaux.

Dès lors les organisations professionnelles de magistrats sont légitimes à revendiquer un changement de politique puisqu’il est démontré par l’exemple que la paupérisation des juridictions à l’échelle du continent n’a rien d’une fatalité.