Depuis quelques mois, la jurisprudence publiée du Conseil d’Etat concernant les magistrats de l’ordre judiciaire est assez inquiétante.

Nombre de pourvois contre des décisions disciplinaires ne sont pas admis, privant les magistrats de toute voie de recours.

Il en est de même pour la contestation des décrets de nomination.

La lecture des décisions des Cours administratives d’appel démontre que certaines pratiques de gestion du corps judiciaire prises par l’administration ne sont pas rassurantes.

Ainsi une collègue s’est vu prélever plus de 7000 € en une fois au titre d’une récupération d’un indu, et la juridiction administrative a considéré que cette décision prise par le SAR (sur délégation des chefs de cours) n’était pas suffisamment motivée.

En matière d’évaluation des recommandations du médecin de prévention peuvent être écartées pour apprécier la capacité de travail d’un magistrat alors même qu’elles prévoient des aménagements du poste de travail spécifiques.

Pour notre organisation, ces décisions, qui seront citées ci-après illustrent la piètre condition juridique faite aux membres du corps judiciaire.

REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE: LE CONTENTIEUX DISCIPLINAIRE

Le Conseil d’Etat a à deux reprises refusé d’admettre des pourvois élevés par des magistrats de l’ordre judiciaire visant à leur voir assurer la possibilité de critiquer en droit les décisions qui les concernaient : CE, 466619, 15 novembre 2022, CE 460163 14 octobre 2022.

Dans le premier cas, le magistrat s’est vu infliger un déplacement d’office avec abaissement d’échelon, dans le second cas, un déplacement d’office.

Le Conseil d’Etat a considéré que les moyens du magistrat n’étaient pas de nature à justifier l’examen du pourvoi.

Pourquoi la contestation d’une évaluation relève-t-elle d’un possible nouvel examen par une cour d’appel administrative et pourquoi une sanction qui porte directement atteinte à l’honneur professionnel du magistrat est-elle, de fait, insusceptible du moindre recours si le Conseil d’Etat ne l’admet pas ?

Pourquoi une contravention peut-elle faire l’objet d’un appel mais pas une décision qui a une incidence directe sur la carrière du magistrat ?

La compétence exclusive et directe du Conseil d’Etat présentée souvent comme un privilège est en réalité une véritable difficulté, pour ne pas dire une malédiction.

Notre organisation revendique une « mise à plat » des voies de recours et la possibilité d’un double degré de juridiction en matière disciplinaire et plus largement pour l’ensemble des décisions relatives au déroulement de la carrière.

REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE: LES NOMINATIONS

Dans un arrêt du 14 octobre (CE, 457606) un collègue qui se plaignait d’avoir été évincé d’un poste de chef de juridiction « Bbis » (et donc 1° grade), a tenté de démontrer qu’il était victime d’une discrimination en rappelant un certain nombre d’éléments de fait. Non seulement le Conseil d’Etat n’a pas admis ces arguments, mais il a également refusé d’ordonner une mesure d’investigation pour demander à l’administration (rappelons qu’ici il s’agit du CSM, qui est défendu par le ministre,comme prévu par la loi) des éléments complémentaires.

Ainsi le Conseil d’Etat n’a pas fait application de ses propres précédents en matière de nomination entachées de possibles discriminations. Il n’a pas appliqué à cette espèce le renversement de la charge de la preuve admis lorsque le requérant apporte aux débats un certain nombre d’éléments objectifs caractérisant le risque de discrimination.

Cette décision du Conseil d’Etat s’explique en réalité par la volonté de ne pas voir critiquer le CSM et par là, la Cour de cassation lorsque ces instances (et surtout ces magistrats) exercent des compétences administratives (ce qui est le cas du CSM en tant qu’instance de proposition et de nomination).

Notre organisation soutient qu’une telle analyse n’est pas conforme aux garanties d’indépendance qui doivent être assurées aux magistrats et aux juridictions.

REVUE CRITIQUE DE JURISPRUDENCE ADMINISTRATIVE : REMUNERATIONS ET NOTATIONS

S’agissant des rémunérations et des notations, ce sont les Cours d’Aix et de Douai qui ont donné lieu à des décisions révélant des pratiques inquiétantes.

La première décision (CAA Marseille, 22/11/2022, n°20M104307), fait apparaître que l’administration a entrepris de récupérer 7 055 € en une fois contre un collègue (qui était placé en retraite d’office à la suite d’une invalidité) sans motiver suffisamment sa procédure.

On imagine sans peine les conséquences d’un tel recouvrement sur la possibilité d’assurer le payement des charges courantes (eau, électricité, loyer…) pour le magistrat en question.

Dans le second cas, une collègue présentant d’important problèmes de santé ayant nécessité un aménagement de poste avec prescription du médecin de prévention n’a pas été admise à voir prospérer sa contestation en matière de notation. La décision relève pourtant une « négligence de la part de la hiérarchie susceptible d’avoir eu des conséquences directes sur son état de santé » consécutif au refus d’aménagement du poste de travail.

Ainsi une autorité hiérarchique peut être convaincue de manquer à ses devoirs, en ne prenant pas des mesures adaptées à la préservation de la santé d’un magistrat sans perdre la capacité d’influencer la notation et donc la carrière d’un magistrat. A l’heure où certains collègues se tuent littéralement à la tâche, cette décision fait également réfléchir sur la reconnaissance de l’investissement professionnel.

Pour notre organisation, à elle seule la mention de cette négligence dans une décision administrative rendue publique devrait justifier une inspection « hygiène et sécurité » de la juridiction concernée afin de comprendre comment un tel déni de l’état de santé d’un magistrat de l’ordre judiciaire peut être justifié dans la situation actuelle.

Qu’un magistrat soit jugé insuffisant dans son travail c’est parfaitement possible. Mais que l’administration contribue à ne pas lui attribuer un poste de travail adapté c’est extrêmement grave et inadmissible

La responsabilité de n’importe quel employeur privé serait engagée dans un cas pareil.

Pourquoi le ministère de la justice qui a vocation à assurer l’application de la loi devrait-il se trouver placé au-dessus d’elle et n’avoir aucune obligation de se l’appliquer ?

NOS REVENDICATIONS POUR LE « JEU DES 1 000 € »: REMUNERER LE TRAVAIL !

Alors les « négociations » sur les rémunérations et les « 1000 € mensuels en moyenne » semblent être au point mort, notre organisation entend former au titre des propositions celle de rémunérer sur la base d’astreinte les durées excessives de travail.

Pour ne prendre qu’un seul exemple il serait normal que les audiences tardives soient indemnisées comme des astreintes,dès lors qu’elles portent atteinte au maintien des liens familiaux et à la récupération physique du magistrat.

En matière civile d’autres critères sont bien entendus à mobiliser, mais le but sera d’assurer une égalité de traitement.

Ainsi seront payés par priorités ceux qui assurent le service, et non pas ceux qui ont le plus de chance d’être distingués par l’autorité hiérarchique selon des critères peu transparents (du point de vue du droit applicable). Nous revendiquons en outre l’intégration de l’ensemble des primes dans le calcul des droits à pension.

La Cour de cassation assimile le temps de déplacement au temps de travail

Dans le même ordre d’idées la Cour de cassation dans un arrêt du 23 novembre 2022 (Soc, 20-21.924, plénière, publié au recueil) vient de reconnaître que le temps de trajet peut être intégré dans le temps de travail. Pourquoi un magistrat de l’ordre judiciaire devrait-il en la matière avoir moins de droit qu’un cadre du secteur privé ?

Cette revendication de rémunérer le travail à sa juste valeur n’implique nullement qu’un magistrat soit « corvéable à merci ». Les dispositions relatives à la limitation horaire et hebdomadaire du temps de travail prévues par les prescriptions du droit du travail doivent naturellement être appliquées et l’ensemble des dispositifs visant à « camoufler » des charges de travail doivent être supprimés.

Nous revendiquons toujours fermement la diminution du temps de travail pour l ‘ensemble du corps judiciaire .

Il est plus que temps que les magistrats puissent disposer de « fonctions supports » efficaces et que le corps judiciaire soit enfin doté d’effectifs en nombre suffisants.

NOS VOEUX POUR 2023: En finir avec le tonneau des Danaïdes

Notre organisation se battra pour obtenir des conditions de travail dignes: Nombre d’entre nous ont trop de travail et nous ne sommes pas assez nombreux pour le faire. Notre métier devrait être au Paradis alors qu’il s’exerce aux Enfers. Cela n’est pas normal dans un état démocratique.