Au cours du mois d’octobre 2022, un magistrat est décédé pendant sont service à Nanterre, un auditrice de justice a fait l’objet d’une tentative de viol à Créteil alors qu’elle tentait de secourir des personnes agressées, et une collègue nantaise objet de menaces s’est vu refuser le bénéfice d’une protection rapprochée par les forces de l’ordre. A l’heure ou le budget de la justice connaît une « augmentation historique » l’administration judiciaire apparaît particulièrement défaillante pour assurer la sécurité qu’elle doit à ses agents.

A Nanterre, une collègue décède lors d’une audience de comparution immédiate.

Marie Truchet, magistrate âgée de 44 ans est décédée au cours d’une audience de comparution immédiate qu’elle présidait au Tribunal judiciaire de Nanterre le 18 octobre 2022. L’ensemble des organisations professionnelles ont salué sa mémoire.

Il ne peut être présumé des causes du décès. Cependant les témoignages affluent pour attester du dévouement inébranlable à la continuité du service de ce collègue .

Cet événement démontre que les magistrats peuvent aussi mourir en service alors qu’en théorie, ils ne le devraient pas.

L’exercice de fonctions juridictionnelles est encadrée par des médecins de prévention, une hiérarchie qui a pour mission de protéger les agents et une administration qui est légalement tenue d’assurer leur sécurité.

Chacun peut cependant constater que nombre d’entre nous sont usés, épuisés , en raison du nombre considérable de postes non pourvus et de charges de travail qui ne sont pas évaluées sérieusement, et qui ne sont même pas conceptualisées pour nombre d’entre elles. L’absence de politique sérieuse de prévention des risques professionnels conduit nécessairement à la dégradation de l’état de santé des agents.

Protection rapprochée : Jours tranquilles Place Beauvau

Les magistrats ont par ailleurs d’autres raisons de s’inquiéter pour la protection de leur propre sécurité.

Selon la presse écrite (Le Monde, 11 octobre 2022, 20 minutes, 12 octobre 2022), à Nantes, un magistrat en charge de l’exercice de fonctions pénales qui a sollicité le bénéfice de la protection fonctionnelle après avoir reçu des menaces sérieuses de voir attenter à sa sécurité s’est vu opposer un rejet de prise en charge d’une protection rapprochée par le ministère de l’intérieur. Le motif allégué, selon les articles de presse, serait que l’auteur présumé des menaces n’aurait pas été impliqué dans des faits d’actes de terrorisme.

L’auteur présumé des menaces aurait été libéré en raison d’une impossibilité de pouvoir procéder à son jugement dans le respect des délais légaux.

Ici encore, le corps judiciaire ne peut que constater que la négation des besoins des instances juridictionnelles peut avoir pour conséquence immédiate de créer des risques supplémentaires pour chaque magistrat de l’ordre judiciaire.

La saisine du CSM : les formations disciplinaires au pied du mur

Le « droit de la magistrature » connaît également une certaine forme d’instabilité .

Le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau dans une tribune publiée sur le site « Actualités juridiques » souligné un des paradoxes de la décision du Conseil supérieur de la magistrature concernant notre collègue le vice-président Levrault (15 septembre 2022).

Si sur le fond, la liberté d’expression est consacrée, l’universitaire y a dénoncé la violation du principe de hiérarchie des normes par l’instance disciplinaire.

En effet c’est le Premier ministre et non le Garde des sceaux qui a saisi le Conseil supérieur de la magistrature dans cette affaire. Or selon cette analyse, le pouvoir de saisine du ministre est inscrit dans la loi organique et ni une loi simple, ni un décret ne pouvaient porter atteinte à cette compétence spécifique dévolue au ministre par un texte pris pour assurer l’indépendance des magistrats du siège.

(Affaire Levrault : Quand le CSM fragilise le statut des magistrats – Actu-Juridique ).

Cette argumentation pourrait être reprise par le ministère de la justice pour tenter de déposer un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

Le caractère « nébuleux» du droit applicable à la magistrature judiciaire apparaît ainsi toujours susceptible de fragiliser l’ensemble des situations individuelles.

Notre organisation a déjà appelé le CSM à se saisir de la question de la régularité de sa propre saisine qui, pour l’instant ne peut être appréciée que lors de l’audience disciplinaire au fond (CE, 26 juillet 2011, 332807).

Or, l’actualité récente le montre, la saisine des instances disciplinaires, qui ne donne lieu à aucune condamnation au final, peut constituer un risque de déstabilisation des magistrats de l’ordre judiciaire dès lors qu’elle n’est pas suffisamment encadrée.

Il est plus que jamais temps de remettre une telle question sur le devant de la scène, car il n’y a pas d’heureuse ambiguïté en matière de procédure disciplinaire…

L’indépendance des juridictions nécessite que la sécurité du magistrat soit garantie dans toutes ses dimensions !

La garantie d’indépendance suppose la protection par l’administration de la sécurité physique, de la réputation, de la santé et de la sécurité financière du magistrat.

Le jour ou les magistrats refuserons d’accepter de travailler dans des locaux ou les normes de sécurité ne sont pas garanties, ou la charge de travail participe à les rendre malade ou leur rémunération n’a rien de stable, leur condition changera.

La magistrature pourra, si elle s’en donne les moyens, mettre fin à cette forme de servitude volontaire.

De même que Rosa Parks a contribué à changer le monde ou elle vivait en refusant de céder sa place dans un autobus, les magistrats doivent refuser de se laisser traiter comme des rouages accessoires du système judiciaire.

C’est leur travail qui assure le fonctionnement des tribunaux. Pas uniquement leur travail, mais essentiellement leur travail. Il ne peut pas y avoir de tribunaux sans greffiers, mais il ne peut pas y avoir de justice sans magistrats indépendants.

Il n’est pas question ici d’appeler à la grève, mais d’appeler à appliquer la loi la plus basique de toute relation de travail: le fait de ne pas mettre le travailleur en danger sans chercher à prévenir les risques auxquels il est exposé.

Différents aspects d’un même déni de réalité.

En fait, les magistrats sont confrontés à un déni de la réalité qui fait qu’ils ne sont pas placés dans un rapport de droit dans les relations qu’ils entretiennent avec les l’administration.

Le pouvoir hiérarchique implique une responsabilité pour celui qui l’exerce: celui de s’inscrire précisément dans un rapport de droit et pas dans un rapport de domination.

Cela vaut pour le ministre, comme pour tout délégataire de son autorité.

Cependant, pour diverses raisons, et notamment des raisons culturelles partagées par la quasi-totalité du corps judiciaire, les magistrats ne revendiquent pas pour eux-même les lois qu’ils sont chargés d’appliquer et sacrifient souvent leur vie personnelle à l’intérêt du service.

Ce qui est très louable, provisoirement, mais nullement raisonnable, sur le long terme. Or rendre la justice consiste aussi à assurer l’application du droit de manière raisonnable et dans un temps « long ».

Pour la magistrature, le droit doit être le premier appui d’une évolution des pratiques culturelles.

CFDT-MAGISTRATS propose de réfléchir à un développement de l’exercice du droit de retrait

Le droit de retrait peut être exercé par tout travailleur qui estime que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé; il peut quitter son poste de travail ou refuser de s’y installer.

L’exercice d’un droit de retrait a par exemple déjà été admis à Cayenne en 2014 à l’époque ou la charpente du tribunal menaçait de s’effondrer et à Mont-de-Marsan en 2015 lorsque les canalisations d’eau ont cédé.

A l’heure ou il manque a minima plusieurs milliers de magistrats pour rendre la justice, la question d’un refus d’exécuter des prestations dangereuse doit selon notre analyse recevoir une interprétation extensive, car l’employeur est clairement défaillant dans son obligation de garantie de sécurité due aux agents.

Cfdt-Magistrats organisera prochainement trois cycles d’échanges ouverts à tous les magistrats intéressés portant sur l’exercice du droit de retrait, la protection fonctionnelle, et plus largement le droit applicable à la magistrature judiciaire.

Pour notre organisation, il ne peut pas y avoir de justice indépendante si le magistrat redoute de passer la porte du tribunal et craint pour sa sécurité !

Il doit pouvoir se prémunir contre toutes les pressions exercées sur lui, il compris la culpabilisation et la mise en danger résultant de l’insuffisance programmée et reconnue des effectifs.